LYON > ENSEMBLE NOAO > LES LÉGENDES DE NOAO - FRANÇOISE KAYSER


Le nom de Noao sonne un peu japonais. Il ne l’est pas, mais pourrait le devenir un jour... La bande de joyeux compères qui compose l’Ensemble Noao n’en est pas à une légende près. Leur principe de création paraît simple - bien qu’en vérité, il consiste à élaborer des cheminements complexes pour mener à bien des parcours poético-ludiques dans le temps et l’espace urbain lyonnais.

L’Ensemble Noao serait-il doté d’une machine à voyager dans l’espace-temps ? Il a commencé à forger sa propre légende depuis son jardin, transformé en lieu d’utopie végétale... Avec cette première initiative, en 1999, la rumeur s’est propagée en ville comme une traînée de poudre, que chacun pouvait aller visiter un jardin privé extraordinaire : le leur. Il y était question de Lewis Carroll, de chasse au snark et du chat du Cheshire, à quelques mètres du boulevard des " Tchéco ", comme on dit à Lyon. Un boulevard qui n’a pourtant rien de poétique, tant s’en faut. Tout visiteur revenait cependant conquis de ce bout de septième arrondissement de Lyon, ébahi de trouver là un lieu où proliféraient joyeusement toutes sortes de merveilles végétales savamment scénographiées. L’année suivante, la même liberté créatrice s’exerçait sur le thème de l’exotisme, avec autant de succès public et médiatique. De nuit, sous des éclairages subtils, le minuscule jardin de la rue Claude-Veyron prenait des allures de jungle... et semblait un continent à lui seul. Un cabinet de curiosités, sur le modèle de celui des princes d’autrefois, complétait la visite. Il était installé dans le bureau même des concepteurs, mais l’illusion était parfaite.

Défi au bon sens horticole

Dans la foulée, Noao a participé à la Biennale d’art contemporain de Lyon. En 2000, lors de l’opération " L’Art sur la place ", manifestation estivale d’un jour place Bellecour, étaient ainsi installées dans un ordre défiant le bon sens horticole cagettes, légumes et brouettes. De fil en aiguille, l’expérience d’ouverture au public du jardin privé des instigateurs de l’Ensemble Noao a fait surgir de nouvelles interrogations : qu’en est-il de la limite entre espace public et espace privé ? Quel regard portons-nous sur la ville à travers nos itinéraires quotidiens ? De quoi sont donc faits ces lieux que l’on dit publics et que l’on ne voit plus à force d’habitude : friches, routes, places, etc. Comment les rendre habitables, voire poétiques ? En considérant " l’espace public non pas comme un lieu mort n’appartenant à personne, mais comme un lieu qui peut être vivant en appartenant à chacun ", l’Ensemble Noao s’est mis à extrapoler sur la nature des lieux urbains qui l’environnent directement, à savoir le septième arrondissement.

C’est ici, à l’orée du troisième millénaire, que les intentions artistiques de Noao bifurquent : " Après deux années consécutives passées sur son île, l’Ensemble Noao décide de jeter ses chaussures par-dessus le portail pour partir à la découverte d’autres archipels... ". Ainsi sont nées les " îlônes ", mot-valise forgé pour la circonstance. De l’articulation entre île et lône, s’enracine un territoire imaginaire que Noao n’a pas fini d’explorer. " A l’image des lônes qui apparaissaient et disparaissaient au gré des crues du Rhône, les îlônes, au fil de l’écriture urbaine, jouent à cache-cache avec la mémoire et l’imaginaire des citadins ", est-il écrit en préambule du projet. La première opération " àŽlônes ", réalisée durant l’été 2001, a cheminé trois mois durant entre les balades poético-urbanistiques, la chasse aux trésors, l’exploration physique et sonore de l’espace.

Cavalcade de " trottinettes équestres "

Le public de Noao a été à l’image de leurs intentions artistiques : cosmopolite, issu de toutes les générations et venu de tous les coins de la ville, à commencer par le septième arrondissement, bien entendu. Le rapport détaillé des sites localisés lors de cette première édition des " àŽlônes " parle pour lui-même. L’inventaire transforme la célèbre " Fosse aux ours " en " îlône de la plage " ; la cavalcade des " trottinettes équestres " remplace celle d’antan, à savoir celle des chevaux des Rancy (à l’emplacement du cirque du même nom) ; un pique-nique de quartier s’organise avec casque anti-bruit décoré de tournesols ; la Rize, rivière devenue souterraine par la force du développement urbain, refait surface... : en tout, une dizaine d’interventions a été montée, de promenades en concerts, de lectures en fêtes. Elles ont ponctué l’exploration du quartier, depuis le boulevard des " Tchéco " jusqu’au Rhône.

La préparation des " àŽlônes " 2002 a été tout aussi déroutante. Elle ressemblait au déroulement d’un jeu de stratégie dont les joueurs peuvent être vous et moi, simples passants ou amateurs d’aventures artistiques buissonnières, l’essentiel étant d’accepter de rentrer dans le jeu. Isabelle Moulin Saint-Pierre, directrice artistique, en parlait avec un plaisir gourmand, et l’on se sentait prêt à tomber dans le premier chausse-trapes venu, pris au piège des mots et des images que fait surgir l’idée d’un voyage jusqu’au fleuve, à partir de l’axe historique constitué par la rue de la Guillotière et la rue du Dauphiné. Partant d’éléments historiques dà »ment vérifiés en compagnie d’Anne-Catherine Marin, directrice des archives municipales de Lyon, les Noao réinventent l’espace et extrapolent de l’histoire à la fiction.

Alcofribas, un revenant

Durant une partie de cet été 2002, " rendez-vous a été pris pour commencer à faire circuler la légende ". Circuler, au sens propre comme au sens figuré, car un bus arrêté aux " correspondances " a rendu les légendes tangibles et audibles, avec, selon les étapes, bal, pique-nique, lectures, reconstitution du tracé de la Rize et repêchage d’un fameux crocodile...

S’il est avéré que le quartier de la Guillotière fut longtemps la banlieue de Lyon - pour aller à la ville par l’unique pont existant alors, il fallait payer l’octroi jusqu’au XIXe siècle -, que vient faire Alcofribas Nasier dans cette histoire ? Cet illustre écrivain qui a inventé l’anagramme de son nom est en effet plus connu sous le nom de François Rabelais. Chacun le sait, il a autrefois hanté les rues de la ville de Lyon, et pas seulement les beaux quartiers. Noao insuffle une nouvelle vie à cet épisode... Les temps et les légendes se superposent...

Les témoins de cette expérience urbanistique inédite, riverains, touristes, badauds et mamies en ont profité pour jouer avec les mots comme avec l’espace, et forgeant une sorte de work in progress sans le savoir, à l’image de monsieur Jourdain faisant de la prose.

Françoise Kayser

Mis à jour le mercredi 26 mars 2003