LE THÉÂTRE DES ASPHODÈLES > DE L'AMOUR DE LA LANGUE FRANÇAISE À  LA COMMEDIA DELL'ARTE - FRANNÇOISE KAYSER


Samedi 23 mars 2002, avenue Félix-Faure, dans le troisième arrondissement de Lyon, juste avant la voie ferrée... l’avenue bordée de grands arbres s’organise entre les anciennes maisons de maître d’un côté de la rue, et les ateliers industriels de l’autre côté. Ceux-ci ont connu depuis le XIXe siècle plusieurs vies industrieuses. L’atelier dans lequel nous entrons était dédié à la construction automobile. Aujourd’hui, il a totalement changé de vocation, depuis que le Théâtre des Asphodèles a repris (en location) le lieu. En cette journée printanière, l’activité déployée sous les mille mètres carrés de charpente métallique est effervescente et transdisciplinaire. Divers participants de la " Semaine de la langue française et de la francophonie " se retrouvent ici pour fàªter la langue française dans tous ses états. La manifestation tient lieu à la fois du rassemblement d’énergies et de la démonstration de tout ce qu’on peut faire avec une langue : la nôtre. Le fantôme de Victor Hugo erre d’un espace à l’autre, très certainement ravi d’entendre l’inventivité à l’œuvre sur la base de dix mots extraits de ses textes.

Sous la férule de deux Thierry - Auzer, l’atypique directeur du Théâtre des Asphodèles, féru de rock et de commedia dell’arte, et Renard, " agitateur " en poésie et éditeur -, écoliers, participant(e)s aux ateliers d’écriture venu(e)s de Lyon ou de toute la région, animateurs et auteurs s’expriment et échangent idées, textes, adresses.


Le slam fait un tabac

L’objectif est simple : mettre en contact des gens d’horizons très différents qui nourrissent la même passion pour la langue. L’association Pandora, la Délégation régionale du FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations) et l’Espace Formateurs ont répondu présent à l’appel de la DRAC. Thierry Auzer accueille avec beaucoup de gentillesse les visiteurs et indique les différents espaces de rencontres : ici, sur l’immense plateau scénique du Théâtre des Asphodèles, de la musique, du rap ainsi qu’une séance de slam, proposée par la " Section lyonnaise des amasseurs de mots ". La SLAM fait un tabac à chaque présentation : c’est le cas également ce jour-là . Lors de séances menées avec brio par Marco Casimiro de San Leandro, les jeunes auteurs, filles et garçons, apportent leurs textes. Il y a de tout bien sà »r, et souvent du bon, du travaillé, du mà »ri chez soi ou en atelier d’écriture collective. Il arrive aussi aux jeunes " slameurs " d’improviser à partir de mots que leur suggère le public. Dans ce cas, ils composent en direct un court texte lancé depuis la scène. Les défis verbaux rappellent l’esprit du rap, l’inventivité et l’humour en plus.

Humour encore avec la " Fanfare à mains nues ", une émanation de la Compagnie Traction Avant, de Vénissieux (Rhône), jamais à court d’idées sur les actions culturelles innovantes. La " Fanfare à mains nues " ne dispose d’aucun autre instrument que le corps des participants : tout le corps, c’est-à -dire pas seulement la voix. Les membres du collectif, amateurs éclairés et assidus, répètent avec entrain plusieurs fois par mois. La " Fanfare à mains nues " est en train d’inventer une chorale d’un nouveau genre, pour le plus grand bonheur des spectateurs.

Sous la mezzanine, une vaste salle de répétition entièrement réaménagée accueille d’autres prestations. Des jeunes filles s’exercent au hip hop. L’étage en dessous, un groupe de femmes issues de l’immigration maghrébine discute. " Au départ, elles sont assez éloignées de la langue française ", explique l’animatrice du centre social qui les accompagne depuis Roanne, où elles résident. Justement, elles veulent s’en rapprocher : elles sont venues avec un plaisir visible pour partager le goà »t d’une langue, le français.

D’un atelier à l’autre

D’un atelier à l’autre, on sent bien que le Théâtre des Asphodèles se prête particulièrement bien à ce genre de manifestation éclectique et bon enfant, où chacun peut exprimer sans complexe ses talents, voire faire ses premiers pas. Thierry Auzer en est bien conscient, lui qui porte depuis deux ans le projet de rénovation du lieu, avec très peu de subventions. Les Asphodèles disposent aujourd’hui d’un plateau de scène digne des plus grands théâtres (seul le TNP de Villeurbanne fait mieux dans la région !) qu’il peut louer ou prêter à toutes sortes de compagnies, des très grandes et célèbres aux toutes petites. La récupération de matériels, la débrouille et l’habileté technique ont été essentielles pour mener à bien cette entreprise d’envergure. Le lieu ne se prête qu’occasionnellement à la diffusion de spectacles, mais en revanche tout ce qui concerne la fabrication - décors et costumes - peut s’effectuer sur place. Des bureaux et une cuisine complètent l’installation, conviviale et à taille humaine.

" Le lieu doit rester indépendant ", répète Thierry Auzer à l’envi. La belle collection de marionnettes indonésiennes qui orne l’entrée semble approuver... " mais pour nous, c’est aussi l’occasion de nous enraciner dans le troisième arrondissement. C’est pourquoi nous proposons des cours, des stages, nous allons travailler avec les écoles... ". Locataires fortuits d’une des plus anciennes usines de construction automobile à Lyon, l’équipe des Asphodèles se sent désormais quelque peu dépositaire de la mémoire industrielle du quartier et n’hésite pas à participer activement chaque année aux Journées européennes du patrimoine, en accueillant dans ses locaux les gens du voisinage. Le travail avec les masques comme la gestuelle de la commedia dell’arte permettent un accès direct au grand public : " C’est un art complètement contemporain, contrairement aux idées reçues ", insiste le bouillonnant directeur des Asphodèles, qui revendique la filiation spirituelle de sa compagnie avec Giorgio Strehler, de la Scala de Milan, ou Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, le célèbre duo de scénaristes-auteurs-interprètes. Au Théâtre des Asphodèles, les références ne gâchent pas le plaisir du jeu qui se donne à voir et à entendre toute l’année. Mais, quoique soucieuse de s’enraciner à Lyon, la compagnie de Thierry Auzer tourne avec plusieurs spectacles dans le monde entier... de Tombouctou à Lisbonne.

Françoise Kayser

Mis à jour le mercredi 26 mars 2003