INTERVIEW DE MARION LOUISGRAND, COORDINATRICE DE KÀ«R THIOSSANE (DAKAR/SÉNÉGAL)


Artfactories : Comment l’espace de Kà« r Thiossane se positionne vis à vis de Dakar, du sénégal, de l’ensemble de l’Afrique et au niveau international ?

Marion Louisgrand : Aujourd’hui, dans un pays culturellement riche et foisonnant de créativité comme le Sénégal, à l’heure de la mondialisation, la société jadis rurale devient urbaine et les créateurs, surtout les jeunes souhaitent être en phase avec le village planétaire, ses questionnements et ses modes d’expression.
Mais les frontières entre le nord et le sud persistent et les jeunes artistes africains, ont encore du mal à avoir accès aux nouvelles technologies (multimédia, vidéo, son...) que ce soit pour créer ou seulement pour faire connaître leur travail hors du périmètre de leur pays.
Si le Sénégal est sans nul doute l’un des pays d’Afrique les mieux informatisé, après l’Afrique du Sud, toutefois, la plupart des points d’accès Internet ouvert au public sont des cybercafés dont les services se limitent à un simple accès à Internet, consultation et envoi de mail, jeux... ou à des services de traitement de texte, télécopie.
Au niveau de la création graphique, aucune infrastructure aujourd’hui ne permet à des artistes de se familiariser aux nouvelles technologies, voir tout simplement à l’infographie.
A l’heure de la dernière biennale des Arts « Daka’Art 2002  », dont l’un des thèmes principaux était justement l’art et le multimédia, beaucoup d’artistes sénégalais faisaient remarquer que même l’Ecole Nationale des Arts n’offrait aucune alternative dans ce domaine là .

L’appropriation des nouvelles technologies et des nouvelles formes de culture numérique par les jeunes créateurs sénégalais nécessite par conséquent un soutien et une collaboration des organismes et des associations en Afrique et en Europe, notamment pour faciliter l’équipement, la connexion et l’accès aux compétences technique sur le long terme.
C’est justement à ce défi que souhaite répondre la jeune structure Kà« r Thiossane qui vient de se créer à Dakar.

Nouvel espace œuvrant dans le domaine des arts et du multimédia, Kà« r Thiossane a ouvert ses portes officiellement en septembre 2003 avec le soutien de la Fondation Canadienne Daniel Langlois pour l’art, la science et les nouvelles technologies.
Basé dans une villa d’une superficie d’environ 150 m2, située dans le quartier de Sicap Liberté II, à Dakar, cet espace est un lieu dédié à l’innovation sociale et artistique qui œuvre dans le domaine des arts, de la culture et de la communication.
Kà« r Thiossane s’adresse aux artistes en encourageant l’intégration du multimédia dans les pratiques artistiques - musique, danse, théâtre, arts visuels... - et à tous les publics en mettant à la portée de tous, la culture et la création numérique via l’informatique et les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Ainsi, les artistes et en particulier les jeunes artistes africains qui ont encore du mal à avoir accès aux nouvelles technologies trouveront prochainement au sein de Kà« r Thiossane un soutien à la réalisation, un conseil en conception, une formation aux logiciels de création, une initiation aux pratiques de réseau, une aide à la création de sites web, des ateliers thématiques.


Lieu de formation et d’initiation au multimédia, Kà« r Thiossane se veut également un lieu de développement social ouvert aux publics de proximité et en priorité aux femmes, aux jeunes et aux enfants. A travers une large gamme d’activités, Kà« r Thiossane tentera de faire découvrir l’art et le multimédia au plus large public, un public souvent peu sensibilisé à l’art contemporain.
A travers des manifestations ouvertes à tous et organisées dans un cadre autre que celui du musée ou des expositions traditionnelles, Kà« r Thiossane souhaite créer des relations à l’art et au multimédia d’un autre type.
Selon les projets développés et les disciplines concernées, Kà« r Thiossane tente de travailler en partenariat avec les autres structures culturelles locales come l’Ecole Nationale des Arts, le Groupe 30, Kaay Fecc, Africa Fête... mais aussi avec des structures publiques telles que les écoles, l’espace Blaise Senghor ou la maison de la culture Douta Seck.
En tant que nouveau type d’espace culturel multimédia en Afrique, Kà« r Thiossane est un projet pilote qui pourra ensuite être étendu à d’autres régions d’Afrique.
A l’avenir, Kà« r Thiossane souhaite intensifier ses partenariats avec d’autres structures en Afrique, en développant d’avantage d’échanges d’artistes, d’équipes, de savoir-faire... avec des partenaires un peu partout en Afrique.
Kà« r Thiossane tient particulièrement à tisser des ponts entre l’Afrique et la Méditerranée, deux régions d’Afrique qui pour diverses raisons (historiques, économiques, géographiques...) ont encore du mal à échanger.
En qualité d’antenne Afrique Artfactories, Kà« r Thiossane se charge d’identifier d’autres initiatives d’espaces cultures indépendants sur le continent africain et de développer une dynamique de réseau entre ces lieux.
Dans le cadre de la prochaine biennale d’art contemporain de Dakar en Mai 2004, Kà« r Thiossane en collaboration avec le bureau ressources international Artfactories organisera du 11 au 14 mai 2004 un séminaire pour les lieux de culture émergents sur le continent africain (Afrique du Nord, Afrique Subsaharienne, Afrique Centrale, Afrique Australe).

Sur le plan international, Kà« r Thiossane souhaite développer un lien permanent avec d’autres lieux artistiques dans d’autres régions du monde (Europe, Asie, Amérique), en instaurant un espace d’échange autour de la création contemporaine.

A : Quelle est l’actualité artistique de Kà« r Thiossane ?

M : Dès 2002, en amont de l’ouverture du lieu, l’association Kà« r Thiossane a débuté ses activité hors les murs avec la mise en œuvre d’un atelier avec des étudiants de l’Ecole Nationale des Arts et l’artiste russe Olga Kisseleva, la réalisation d’un reportage multimédia avec des enfants et l’accompagnement de quelques projets d’artistes.
A l’occasion de son ouverture officielle, en septembre 2003, Kà« r Thiossane a également organisé dans ses locaux deux ateliers de sensibilisation au multimédia à travers la création numérique : l’un autour de la cybersculpture et la création 3D, l’autre autour de la danse interactive, ainsi qu’un débat avec la communauté artistique de Dakar autour des enjeux des NTIC pour la création contemporaine africaine.

A ce jour, en dehors des activités quotidiennes de l’espace comme les modules de formation courte, le centre de documentation, l’accompagnement de projets d’artistes, les programmes réservés aux enfants.. qui sont en train de se mettre en place, un certain nombre d’ateliers ponctuels est programmé pour l’année 2004.

Parmi ces projets, dans le cadre d’un festival de mode organisé début mai, à Dakar, Kà« r Thiossane proposera à de jeunes stylistes sénégalais un atelier autour de la création textile,via le multimédia. La jeune créatrice Marietou Kandji, diplômée de l’Ecole des Arts Décoratifs à Paris et lauréate de l’Unesco présentera pendant une semaine le travail des matières, couleurs, formes sur des logiciels spécialisés tel que Point Carré ou bien d’autres plus accessibles tel que Photoshop.
Pendant la biennale des arts de Dakar, également en mai 2004, un autre atelier cette fois-ci dans le domaine musical sera organisé autour du deejaying, veejaying en partenariat avec l’espace culture multimédia français Arslonga, organisateurs des célèbres soirées parisiennes "Métalomix" réunissant plasticiens, stylistes, musiciens, deejays, veejays, réalisateurs de courts-métrage, etc.
Cinq artistes français viendront pendant dix jours rencontrer et échanger avec des musiciens et plasticien Sénégalais.. Pendant la journée, les artistes animeront des ateliers d’apprentissage du mixage de disques, initiation au mix d’images, initiation à la photo numérique, ateliers informatique-internet, tandis que le soir des performances live communes seront proposées dans différents lieux de Dakar pour clôturer et enrichir les journées interculturelles du séminaire.
Toujours pendant la biennale,en marge du séminaire organisé du 11 au 14 mai en collaboration avec Artfactories autour des lieux de culture émergents sur le continent africain, Kà« r Thiossane invitera le créateur multimédia Philippe Monvaillier de l’Office à Pointe Noire à réaliser avec la participation d’artistes sénégalais (griots, musiciens, plasticiens), deux installations interactives présentées récemment dans un quartier populaire de Brazaville : le "Cyberfétiche" et le "Sanzationnel".

Tout au long de ce séminaire, Kà« r Thiossane sera aussi le point ressource public sur la question des nouveaux lieux de culture nés de projets artistiques citoyens dans les différentes régions du monde : site artfactories en ligne, vidéos présentant projets et lieux, documentation...Ce sera l’espace où tous les participants déposeront leur documentation.

D’autres ateliers touchant à des disciplines artistiques très différentes les unes des autres seront proposés tout au long de l’année, afin de faire découvrir aux artistes sénégalais une approche innovante des nouvelles technologies à travers l’acte artistique : dans la continuité du premier atelier autour de la sulpture numérique, une nouvelle formation toujours animée par Christian Lavigne de l’association Toile Métisse - Ars Mathématica - permettra à des artistes africains d’aller plus loin que la simple création 3D. Sculpteurs, designers, peintres, graphistes... les participants apprendront à animer des objets dans un espace virtuel. Un autre atelier s’adressera à des écrivains, journalistes et poètes autour de l’écriture hypertextuelle et de la poésie numérique.
Certains projets sont envisagés avec des enfants, notamment le « Kaléidoscope museum  » avec plusieurs écoles de Dakar et sa banlieue, le peintre Sénégalais Kalidou Kassé et le musée de l’Ifan.

A : Au quotidien, comment fonctionne Kà« r Thiossane ?

M : Lors de son ouverture officielle en septembre 2003, Kà« r Thiossane a pu mesurer réellement l’ampleur des attentes et besoins de la part des artistes, mais aussi de la jeunesse, par rapport aux nouvelles technologies dans le domaine de la création, de l’éducation et de la culture.
Depuis, suite à cette journée d’inauguration le 19 septembre 2003 qui comprenait une exposition d’artistes, la présentation des travaux des ateliers ainsi qu’un débat sur l’enjeux des NTIC pour la création contemporaine africaine...les demandes d’information, d’adhésion, de formation de la part de la communauté artistique ne cessent de se multiplier.
Satisfait de cet engouement, Kà« r Thiossane est toutefois conscient qu’à ce stade de démarrage, ses capacités humaines et matérielles sont encore fragiles par rapport à l’ampleur des attentes et que ce n’est que sur le long terme que le projet Kà« r Thiossane atteindra pleinement ses objectifs. Elle se donne pour cela trois ans :
2004 représente pour Kà« r Thiossane une année de renforcement du projet, tandis que 2005 et 2006 seront des années de développement et d’extension de la structure et de ses objectifs.
Immédiatement, face à l’afflux des demandes, un règlement intérieur avec un système d’adhésion et un planning ont été définis.
Actuellement l’activité du lieu est encore réduite. Une galerie d’artistes est en train d’être élaborée et sera en ligne prochainement afin que les artistes que Kà« r Thiossane a choisi d’accompagner aient une certaine visibilité sur le web.

Mis à jour le lundi 25 février 2008