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le 9/12/2003

Jacques Livchine répond à Bernard Latarjet


Voilà le débat sur la culture qui commence dans le journal le Monde. Je réponds par la même voie.






Cher Bernard Latarjet vous commencez par une analyse des chiffres, dont la plupart sont faux, si c¹est une guerre de chiffres, vaut mieux fermer le dossier de suite.

Je m¹explique : Savez vous que le Ministère de la culture n¹accepte pas dans ses statistiques les spectateurs de théâtre de rue. ?

Quand j¹avais une scène nationale à Montbéliard, je faisais 80 000 spectateurs dont 10 000 payants, et on ne me comptait seulement que les 10 000 payants alors que toute mon activité consistait à ne pas remplir le théâtre de Montbéliard, mais à remplir Montbéliard de théâtre-c¹était le mot d¹ordre- avec des activités hors les murs tous azimuts.

La question est là, de quel art allons nous discuter. ?

De l¹art des abonnés ? Justement la vitalité du théâtre est souillée par les abonnements.
On sait que Villegier a été chassé du TNS parce que lui, très justement avait abandonné le sacro-saint abonnement qui nous donne toutes ces salles sèches, tristes et vidées de leur âme.

Alors oui, certains font du chiffre, mais quel moisi, quelle absence de vie artistique, c¹est de cette consommation mièvre dont nous ne voulons plus.

Je continue, j¹avais un restaurant extrêmement vivant dans ma scène nationale, lieu d e croisement, lieu d¹exposition, créateur de lien. Le Ministère souhaitait que ces recettes soient cachées, car non artistiques.
Mais moi je leur donnais une importance extrême, c¹était le c¦ur vivant de mon théâtre, ces milliers de repas bruyants, ces polémiques, devant les oeuvres d¹art qui regardaient médusées toute cette vie.

Est ce que la réussite de la Villette, ce ne sont pas avant toute chose ces milliers de promeneurs de dimanche, et cette ébullition, et cette diversité.
Qui va vous les compter ? Oui, la Villette est plus fréquentée que Disneyland, j¹en suis sûr.

C¹est tout le système d¹évaluation des lieux et de l¹Art qui est à revoir.

Moi je prétends que c¹est un crime contre l¹humanité culturelle de dire qu¹il y a trop d¹artistes en France, alors que tout est à faire sur le plan de l¹imagination , de l¹innovation et de l¹irrigation culturelle du pays.

Je suis d¹une région d¹1 million d¹habitants, vous la traverserez avec moi, c¹est le désert d e Gobi de la culture, ce ne sont pas les 10 pauvres théâtres repliés sur eux-mêmes qui vont y changer quelque chose.

On pourrait inventer, dès que la volonté politique l¹aura décidé, des milliers de moments fantastiques. Je mets au point 49 fêtes de villages pour
le mois de mai 2004

Pour le Ministère de la culture, ce travail de deux années est à peine pris en compte dans mon activité, parce que cela ne ressemble pas à une représentation d¹une heure et vingt minutes d¹un auteur contemporain dans
des rideaux noirs.

Quand je suis arrivé au pays de Montbéliard en 1991, il y avait un seul comédien professionnel, maintenant nous sommes une douzaine, ce n¹est pas suffisant nous devons faire venir des comédiens de Besançon à 80 Km Il faut
revaloriser tous ces arts dits mineurs, théâtre dans les écoles, les prisons, les hôpitaux, les lycées, les villages. Nous faisions une opération où pendant trois jours nous transformions un lycée en réceptacle artistique pour créer le lien entre jeunes créateurs et lycéens, c¹était
fantastique, et pourtant cela n¹amenait pas un lycéen au théâtre, ce n¹était pas le but. Voilà encore du public qui n¹était pas pris en compte.
Je ne vais pas parler du théâtre d¹appartement, des évènements du 31 décembre.

C¹est ça la vie artistique. Une offre multiple foisonnante singulière originale, hors plaquette, et qui nécessite des comédiens, des acteurs des plasticiens.C¹est tout ça qu¹il faudrait développer, officialiser, et légitimiser.

Il y a dans toute la France des initiatives fantastiques hors institution, méprisées parce que trop populaires ou trop petites, ou trop festives, ou dézonées, inclassables.

Jamais on n¹y voit un seul ministre, ni un seul homme politique, très rarement les experts de la Drac. LŒInvention artistique de la France s¹est déplacée hors des institutions. Des nouvelles pistes sont en voie d¹être
tracées qui réclament des quantités d¹artistes.

C¹et cela que le débat doit rependre en en compte.

La culture a besoin d¹un total recadrage, vous êtes un de nos derniers espoirs , car la Villette , c¹est justement un lieu vivant, et populaire, et rentable humainement, et j¹espérais que vous aviez cette vision-là , mais si
c¹est pour nous annoncer d¹emblée la rengaine du choix entre le saupoudrage et le recentrage des financements c¹est une très mauvaise entrée.

Je crois qu¹il faudrait recenser toute ce que l¹on pourrait faire pour irriguer notre pays. On sait très bien que nos villages ont fait des scores FN faramineux non pas à cause de l¹insécurité, , mais à cause de l¹isolement, du repli sur soi même, le chantier potentiel est magnifique, mais justement il faut revoir tous les critères de la culture redonner de l¹importance à tous ces artistes de proximité victimes d¹un mépris permanent parce qu¹ils ne pratiquent pas du grand art, mais de l¹art public.

Je ne voudrais pas que votre mission soit mal orientée dès le début.

Si c¹est un débat qui se passe dans les colonnes du Monde, il est légitime que ma contribution y soit publiée non expurgée.

Sinon comme dit le Syndéac, ce n¹est qu¹un audit, et un audit commandité par le ministère de la Culture, ne dira que ce que le ministre a envie d¹entendre, ce que vous avez déjà commencé par lui susurrer et qui le ravit puisque le protocole est justement là pour éliminer le soi disant trop plein d¹artistes.

Jacques Livchine
Théâtre de l¹Unité
BP 95168
25405 AUDINCOURT Cedex



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