RECHERCHE-ACTION : L'ART EN PARTAGE DANS LA REVUE MOUVEMENT


À Marseille, plusieurs lieux, artistes, chercheurs et « acteurs culturels » poursuivent un double objectif : construire un savoir partagé tout en renouvelant la pratique des acteurs. Du 28 mars au 6 avril, première démonstration, spectacles et rencontres à l’appui.


Depuis 2011, douze espaces-projets artistiques du territoire de Marseille-Provence développent un dispositif de recherche-action afin d’interroger la pertinence des démarches qui cherchent à inventer de nouvelles formes de démocratie artistique. L’ambition : construire une expertise partagée, mais non consensuelle, puis d’élaborer des propositions visant à repenser les politiques culturelles. Premier moment de « concentré » d’observation entre le 28 mars et le 6 avril.

Dix jours presque comme les autres
Le programme proposé, du 28 mars et le 6 avril, dans le cadre de L’art en partage ne procède absolument pas d’une approche festivalière. Les opérateurs culturels et les artistes [1] qui participent à cette initiative défendent l’idée que « l’exceptionnel en art doit relever d’une pratique commune et quotidienne  ». Ces maisons de production ouvriront donc, comme elles en ont l’habitude, leurs portes aux populations. Certaines programment des spectacles, d’autres proposent des rencontres plus informelles et donnent plutôt à voir des chantiers, ou des travaux en cours. Parmi les propositions : une performance de près de 24 heures de la compagnie Demesten Tipi au 3 bis f ; la présentation de la dernière création de la compagnie l’Art de Vivre au Théâtre Massalia ; un spectacle de Thierry Bédard dans des écoles primaires ; une étape de travail de Mathilde Monfreux en résidence au Citron Jaune (Centre national des arts de la rue situé à Port-Saint-Louis-du-Rhône) ; une immersion du paysagiste-poète Jean-Luc Brisson à la Gare Franche ; une « rencontre sur le terrain  » et dans une Cité avec Les Pas Perdus et leurs excentricités artistiques ; la « livraison  » d’un travail mené par Jacques Rebotier avec les publics du Théâtre de la Minoterie ; une sortie d’atelier du chorégraphe Thierry Mabon au Studio 164 ; un retour sur une psychanalyse urbaine en miroir entre Marseille et Alger réalisée par Laurent Petit, à l’initiative des Bancs Publics ; un coup de projecteur sur la Biennale des écritures du réel du Théâtre de la Cité ; une conférence du philosophe Jean-Paul Curnier... Tous ces actes, tous ces éclairages, seront la matière même de la réflexion. Ce mouvement de pensée qui se veut « joyeux et parfois même ludique  », associera des membres du réseau ARTfactories/Autre(s)pARTs et un certain nombre de chercheurs . Avec, en clôture, un atelier de réflexion pour envisager les autres étapes de la recherche-action.

Un chantier permanent
Ce dispositif (3), porté au niveau national par l’association ARTfactories/Autre(s)pARTs, entend apporter une connaissance à la fois sensible et rationnelle des mutations de l’action artistique et culturelle. Cette démarche s’inscrit notamment en rupture avec les principes de la démocratisation culturelle et ce pour explorer les voies d’une relation véritablement démocratique avec l’art.

Ce n’est pas un hasard si l’aire métropolitaine marseillaise accueille un tel chantier. Ce territoire compte en effet un nombre très significatif d’espaces-projets développant des pratiques artistiques innovantes et audacieuses sur des principes de co-production et de co-construction avec les habitants. Ici, peut-être plus qu’ailleurs et face à une défaillance du pouvoir politique, des projets naissent en dehors de toute volonté institutionnelle. Dans un environnement ou le « mauvais goà »t  » et la « sous-culture  » participent de l’affirmation identitaire, il n’est sans doute pas étonnant que des artistes se jouent des frontières entre arts savants et arts populaires ou qu’ils décident d’investir sans complexe des pratiques qui possèdent un très faible degré de légitimité artistique : la cuisine, le bricolage, le jardinage, le bal populaire, la fanfare...

Dans cette recherche-action, deux modes d’existence et d’engagement se côtoient : celles d’artistes et celles d’opérateurs culturels. Le fonctionnement cherche à être véritablement collégial. Pour une fois, la puissance économique ne dicte pas sa loi et les artistes ne sont pas dépossédés de leur pouvoir de décision. Il n’y a pas non plus, comme c’est souvent le cas, de « chef de file  ». Les approches esthétiques sont très diverses, les stratégies politiques ne sont pas, a priori, compatibles. Et pourtant, il faut bien faire société, travailler, sans pour autant nier les divergences, sur les préoccupations communes et les complémentarités... Il convient surtout d’adopter de nouvelles postures afin de rendre l’art véritablement populaire. Cette recherche-action participe d’un vaste mouvement de renouvellement de l’action artistique, interpellant tour à tour les logiques économiques et sociales, les enjeux urbains, patrimoniaux et écologiques, ainsi que les politiques publiques de la culture.

Pourtant, ce travail ne bénéficie, pour l’instant, d’aucun financement public. Déjà , il ne s’intègre pas dans l’approche nécessairement événementielle de Marseille Provence 2013. C’est un processus sur le long terme qui n’a pas pour vocation première d’attirer des publics. Quant aux collectivités territoriales, non seulement elles focalisent leurs financements sur la Capitale Européenne de la Culture, mais surtout, elles sont de moins en moins attentives aux initiatives qui ne sont pas directement connectées à des enjeux de diffusion. De plus, malgré les discours, les politiques publiques restent fortement orientées sur les pratiques et les formes relevant de l’excellence artistique.


Le savoir partagé

Sans moyens financiers, difficile de mobiliser sur le long terme des chercheurs. Il a donc fallu s’adapter et inventer un cadre de travail suffisamment souple pour qu’un collège de chercheurs « à géométrie variable  » puisse s’agréger à la démarche et la nourrir. L’implication économique et logistique d’ARTfactories/Autre(s)pARTs a également été déterminante. Douze chercheurs ont porté leur regard sur le dispositif. Au fil des échanges un certain nombre de problématiques ont été identifiées : qu’est ce qu’une œuvre populaire ? pourquoi l’art relève-t-il du régime de la singularité et de la rareté et non pas du régime du commun et de la conformité ? comment « capitaliser  » et articuler les différentes valeurs de l’art (financières, symboliques, sociales, politiques, éducatives, urbaines, environnementales...) ? comment le champ de la création participative est-il en train d’évoluer, d’innover ? Cette démarche poursuit ainsi un double objectif : construire un savoir partagé tout en renouvelant la pratique des acteurs.

Après les dix jours de « concentré  » d’observation, la recherche-action va poursuivre son cheminement pendant encore un an, alternant travail souterrain et moment de visibilité (une rencontre internationale est programmée en octobre 2012). Toute cette matière sera ensuite décryptée. Elle donnera lieu à une production éditoriale et à différentes restitutions publiques (notamment dans le cadre de la rencontre internationale prévue, à la Friche la Belle de Mai, en novembre 2013, pour les trente ans du réseau Trans Europe Halles). « Nous apporterons dans le débat politique le fruit de ce travail, le mettrons en partage et en discussion. Nous n’avons pas la prétention de croire que nous atteindrons du premier coup l’objectif que nous nous sommes fixés. L’ambition est immense et les obstacles nombreux. Mais nous avons la certitude que dans le contexte de crise permanente que traversent nos sociétés, nous avançons dans le bon sens. Nous envisageons notre démarche comme un ouvrage permanent qui, comme la démocratie, doit être constamment remis en chantier.  »

Fred Kahn

3. La recherche-action est une démarche relevant d’une dialectique de la connaissance et de l’action. Elle poursuit un double objectif : « transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations  » (Hugon et Seibel).

Article publié le 27/03/2012 sur Mouvement.net

[1Les coproducteurs de la recherche action l’Art en partage sont : Le 3bisf ; Alphabetville ; L’Art de Vivre ; Les Bancs Publics ; La Cité, Maison de Théâtre et Compagnie ; Le Citron Jaune ; La Gare Franche ; Les Pas Perdus ; Système Friche Théâtre ; Théâtre Massalia ; La compagnie Geneviève Sorin ; Le Théâtre de la Minoterie ; Pensons le Matin.

Mis à jour le mercredi 18 avril 2012