POINT DE VUE # 10 : BAISSE DU BUDGET DU MINISTÈRE DE LA CULTURE - EN RÉPONSE... - JACQUES LIVCHINE - DÉC. 2012


Drame épouvantable, les socialistes viennent de diminuer le budget de la culture ! Peut-être une bonne nouvelle.


Point de vue # 10 : Baisse du budget du Ministère de la Culture - En réponse... - Jacques Livchine - Déc. 2012

Ce que même le méchant Sarkozy n’a jamais osé faire, Hollande le doux a commis l’acte irréparable, toucher au budget sacralisé du Ministère de la Culture.
Le Syndéac montre les dents, le directeur emblématique de Bobigny monte au créneau et cible le président. Chacun affà »te ses armes, les déclarations se multiplient.
Les grosses structures se sentent menacées, on crie à l’assassinat, à la mort du lien social, à la fin de la création, au risque de transformer la France en désert culturel. On essaye de faire du théâtre Paris-Villette le symbole de la déforestation annoncée.
Les petits n’ont pas la parole, ils ont l’habitude de guerroyer sans budget, ce sont les champions du trois fois rien, ils ne touchaient déjà rien du Ministère, alors la diminution de 3,5% ne les concerne pas.
Ceux qui ont connu la période faste de doublement du budget de la culture sous Lang savent que cela n’avait pas changé grand chose.
Alors si quelqu’un osait dire que si problème de culture il y a, il n’est pas budgétaire... Celui-là verrait toute la profession le mettre en quarantaine.
On ne va pas revenir à la polémique d’Edmond Michelet qui avait vendu son vélo pour monter une pièce de théâtre, mais si quelqu’un osait parler franchement... Il dirait quoi ?

Il dirait que de l’argent, la Culture en regorge, parce que le Ministère de la Culture n’est plus seul distributeur de subsides, les collectivités territoriales sont venues troubler son monopole. Les Régions ont des politiques culturelles, et les départements aussi et les villes bien-sà »r et les communautés de communes se mettent aussi à accompagner des opérations culturelles. On continue de construire des salles, de moderniser les théâtres. Dans toute la France naissent des friches culturelles regroupées dans l’association ARTfactories/Autre(s)pARTs.
Le théâtre de rue s’est fédéré et compte plus de mille compagnies toutes bien vivantes. On compte même près de 250 festivals dévolus au théâtre de rue avec des fréquentations incroyables vu la gratuité des spectacles.
Il y a un réseau de scènes de musique actuelles, les Smac, et un réseau de fabriques de rue, les CNAR et des centaines d’initiatives de terrain pas ou peu médiatisées. Il ne faudrait pas non plus oublier de citer certains phares culturels que sont devenus le 104, le parc de la Villette, le centre Georges Pompidou.
Le Ministère de la culture ne représente plus que 20% des dépenses culturelles, son réseau a vieilli, les Scènes Nationales et les CDN ne sont plus que de pâles descendants de la première vague de décentralisation culturelle d’après-guerre.
Le centre de gravité de la Culture en France a bougé, les grandes institutions semblent pour la plupart figées et n’arrivent pas à épouser les nouvelles démarches d’art relationnel, d’art contextuel, de bottom up (L’Art qui part des habitants).
La vie culturelle ne se passe plus à Paris, mais dans les coins les plus reculés de la France.
Il y a un microcosme théâtral qui tente de résister, mais les créations d’auteurs à l’ancienne sont dépassées, maintenant c’est toute la ville que l’on met en scène, il ne s’agit plus de s’adresser à un petit public d’abonnés mais à la cité toute entière. Pendant 40 ans on a essayé d’attirer le non public à l’intérieur des salles de spectacle, le résultat c’est un public un peu fossilisé et vieillissant qui forme le bataillon des abonnés, même si les statistiques disent parfois le contraire, grâce aux sorties scolaires.
Il semblerait que la gracieuse nouvelle ministre de la culture ait pris conscience de cette immense vague de fond qui est en train de bouleverser la carte de la création artistique, il semblerait que ses préoccupations se dirigent vers les gens plutôt que vers le public traditionnel.
Si c’était vrai, ce serait un inattendu et immense changement de paradigme, et il faudrait s’en réjouir, et faire en sorte que les 2 milliards du Ministère de la Culture puissent servir aussi de stimulant et d’engrais à toute cette nouvelle culture de territoire et d’espace public, cette culture des interstices, des abris inventifs, qui foisonne dans nos Régions, dans nos villes, dans nos campagnes.

Jacques Livchine
Metteur en songes, fondateur et directeur
du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs),
membre d’ARTfactories/Autre(s)pARTs.

Le 28 décembre 2012
Article publié dans Libération le 4 janvier 2013 sous le titre Et si la baisse du budget de la Culture était une bonne nouvelle ?

Mis à jour le lundi 7 janvier 2013