LA PLACE DES HABITANTS DANS LA DÉMARCHE ARTISTIQUE - DÉC. 2008/FÉV. 2009

L’intégration des habitants à l’acte de création artistique est récurrente au sein des espaces-projets représentés dans ARTfactories/Autre(s)pARTs. Cette manière de faire est emblématique d’une manière de penser le rôle de l’art et de la culture dans notre société. Entre légitimité revendiquée et besoin de reconnaissance, les intervenants ont débattu des spécificités de leurs démarches.


â–ºSYNTHàˆSE COURTE

Une multitude de projets
© Mon Golem/Création 2009 Cosmos Kolej - Crédits photos (libres de droit) David Anémian
La place des habitants dans la démarche artistique est multiple, propre à chaque projet et il serait contradictoire de donner une méthode ou une définition de la bonne ou de la mauvaise place. Celle-ci s’invente en fonction des différents partenaires, du territoire, de l’implication des uns et des autres. Définir une bonne place reviendrait à nier la spécificité de ce type d’approche de la création artistique qui est par nature expérimentale. On note néanmoins certains points communs entre toutes les pratiques rapportées durant cet atelier. Les artistes font appel à l’expérience des personnes, à leur vécu, à leur singularité en somme, sur quoi la démarche artistique vient reposer. Par le biais du recueil de paroles, d’objets personnels ou en mettant à disposition certains outils de production (caméra, enregistreur audio etc.), les habitants sont sollicités pour ce qu’ils sont dans le but de faire émerger la matière du projet.

Cette matière est donc pour partie préexistante, comme le sont les territoires, les structures culturelles, sociales, éducatives, les histoires intimes et collectives avec lesquels l’artiste travaille sur une période plus ou moins longue (de quelques jours à quelques mois, voire parfois plusieurs années). Il devient entre autres le catalyseur d’une mise à jour d’une culture oubliée ou ignorée dont les habitants sont les premiers témoins et les premiers acteurs. Il permet par exemple de mettre en lumière l’histoire partagée d’un immeuble condamné à la destruction, celle d’un quartier en cours de réaménagement ou plus modestement celle de meubles dont une personne souhaite se débarrasser. Dans tous les cas, il y a la même intention de valoriser les habitants et leur territoire. Non pas selon un ordre de valeurs morales mais en tant que tels, c’est-à -dire en tant qu’expressions singulières d’une interaction entre cultures individuelles et représentations collectives. Comme le dit un intervenant de l’atelier : « Le but est d’aller au plus près des habitants.  » On l’aura compris, de telles démarches artistiques ne cherchent pas à donner des réponses sur une situation particulière mais à questionner les rapports souvent impensés, parfois frictionnels, toujours éloquents qui existent entre cultures individuelles et représentations collectives.

© La Duchaire dépaysée/Projet Sputnik – Cie Là Hors De (Lyon) - 2009
L’œuvre d’art comme processus
L’acte de création artistique s’apparente ici à un processus. Il peut aboutir à un spectacle ou à une production publique mais ce n’est pas une finalité. C’est la démarche qui fait œuvre, ce qui nécessite une organisation propre. Chaque projet est co-construit avec l’ensemble des partenaires, réellement co-construit sans quoi l’échec, c’est-à -dire le désintérêt des habitants ou l’instrumentalisation de l’artiste, est assuré. Quel que soit le nombre de partenaires, il est par ailleurs fondamental pour le porteur de projet d’éviter le face-à -face entre l’artiste et les habitants, confrontation qui peut devenir stérile, voire néfaste, étant donné les sujets sensibles abordés dans ce type de projets. La préparation et le suivi sont donc capitaux pour faire vivre une démarche artistique intégrant les habitants. Ces deux dimensions très techniques nécessitent beaucoup de temps et de vigilance (montage de dossiers, réunions, communication et information permanentes etc.) mais aussi une solide réflexion préalable. Les intervenants s’accordent pour qualifier de politique l’action qu’ils mènent, au sens où elle s’attelle artistiquement à la façon dont les hommes vivent ensemble. Une action d’autant plus délicate à conduire qu’elle crée souvent une nouvelle interface entre les populations, les institutions et les élus. Avec tous les enjeux que cela représente.

© Veillée # Hazebrouck – Cie HVDZ (Loos-en-Gohelle) - 2009Les liens ainsi établis entre les personnes constituent une des principales spécificités des démarches artistiques évoquées lors de cet atelier. Fondamentalement, les habitants et l’artiste sont logés à la même enseigne et tous subissent de manière conjointe les effets de ce processus. Pour l’artiste, sa manière de faire se trouve remise en question au cours du projet en fonction des réactions des personnes, de leur implication et de ce que le territoire et la population vont révéler sous l’action du travail artistique. D’où la nuance faite par un intervenant pour distinguer les œuvres créées à partir des gens et celles créées avec eux. Ceci dit, l’artiste et les habitants possèdent des rôles distincts et il importe de ne pas les confondre. Si elle est empreinte du vécu des habitants, l’œuvre (le processus) produite conserve la marque de l’artiste, sa subjectivité. Elle témoigne d’une recherche formelle, certes dépendante des habitants, mais dont l’artiste a la responsabilité et, finalement, la conscience. Quant aux habitants, ils bénéficient à leur tour d’un retour sur soi initié par le processus artistique qui leur permet de se réapproprier leur histoire, leur habitat, leur quartier et de gagner en conscience critique. De là , passé le temps du projet artistique, c’est en acteurs de leur propre (espace de) vie que les habitants vont poursuivre le processus de création.

Quels enjeux politiques et culturels ?
De telles démarches renouvellent le débat sur les politiques publiques de la culture et le rôle de l’artiste dans la société. Pour certains participants, l’enjeu consiste clairement à renverser les thèses de la démocratisation culturelle dont beaucoup reconnaissent l’échec aujourd’hui. L’idée voulant que les œuvres d’art aient le pouvoir d’éclairer les individus traduit une hiérarchisation des personnes et de leurs goà »ts esthétiques étrangère aux projets évoqués. Même s’il y a recherche et proposition formelles, les enjeux dans ces cas sont moins esthétiques que politiques et éthiques. Il s’agit avant tout de reconnaître la diversité culturelle comme dynamique et valeur ajoutée du travail artistique. Cette approche n’exclut pas les autres modes de production, mais elle revendique sa valeur artistique propre et une reconnaissance publique spécifique.

© Atelier d'urbanisme utopique – Bruit du Frigo (Bordeaux) – 2007/2008à€ ce titre, l’artiste ne saurait être pris pour un intervenant ou un animateur. Il travaille au contraire en créateur et place sur le même plan ce type de démarche et la création d’un spectacle de forme plus conventionnelle. Mais ce cadre d’action fait de lui un médiateur, quelqu’un dont le savoir-faire porte sur la révélation d’une parole et d’une existence. à€ sa manière, il accompagne la transformation d’un territoire et d’une population. Il acquiert, à ses propres yeux et à ceux de la communauté, une certaine utilité, une place à part entière.
C’est bien sà »r la même chose pour les habitants, à qui est proposée une place de premier ordre aussi bien dans la démarche artistique que dans la société. L’objectif est bien de les reconnaître dans leur dignité en faisant de leur propre culture un vecteur de reconnaissance et le biais pour se réapproprier leur existence, leur histoire, l’espace public où ils habitent. Fondamentalement impliqués dans la démarche artistique, ils sont placés au rang de coproducteurs de l’œuvre et d’acteurs principaux de leur territoire.

Une reconnaissance nécessaire
Aux yeux des institutions, ces démarches sont encore trop particulières, difficiles à identifier et donc à reconnaître. La preuve en est l’inadéquation des critères d’évaluation institutionnels et du travail effectué par ces artistes et les acteurs culturels qui les accompagnent. Une telle inadéquation oblige les membres d’ARTfactories/Autre(s)pARTs à imaginer d’autres systèmes d’analyse, issus de la définition précise de leurs projets, opposables à terme à ceux des institutions : « N’ayons pas peur d’une légitimité qui proviendrait de nous-mêmes.  »

Sébastien Gazeau
Rédaction / Textes rédigés à partir des propos tenus à Loos-en-Gohelle le 8 décembre 2008 et à Bordeaux le 4 février 2009 lors de l’atelier « La place des habitants dans la démarche artistique  »

Quentin Dulieu (Af/Ap)
Coordination des Ateliers de réflexions

Mis à jour le vendredi 5 novembre 2010