L'ART ET LE PEUPLE : CRÉATIONS PARTICIPATIVES ET PARTAGÉES - AVRIL 2012
De nombreuses démarches artistiques impliquent désormais un travail conjoint entre professionnels et non professionnels de l’art. Quels en sont les enjeux ? A quelles nécessités artistiques ou culturelles répondent-elles ? Quelles en sont les conditions favorables et les difficultés récurrentes ?
â–º SYNTHESE COURTE
Cette discussion fut introduite et modérée par Philippe Henry le 6 avril 2012 aux Bancs Publics à Marseille. Le chercheur a tout d’abord interrogé la nature très hétérogène de ce qui se désigne sous l’appellation de démarches artistiques participatives ou partagées. Puis la discussion s’est rapidement ouverte aux témoignages d’acteurs qui, sur le terrain, s’engagent à mettre en œuvre des processus de production plus démocratiques.
Comment nommer avec le plus de justesse possible ces formes ? Et comment faire en sorte que la formulation débouche sur de la transformation politique et sociale ? La société de communication et de consommation a déjà prouvé sa capacité à récupérer et à vider de toute substance les pensées les plus incandescentes. Et, au-delà du vocabulaire employé, il s’agit d’identifier les modalités d’actions spécifiques à cet "art de composer" avec les autres. Quelles sont les conditions initiales de l’échange entre des partenaires très différents ? Comment la confiance commune s’établit-elle ? Comment le processus évolue-t-il ? Comment chacun trouve-t-il sa place dans l’élaboration d’un objet commun ? Enfin, comment réguler les inévitables tensions interpersonnelles et interculturelles, obtenir un consensus qui ne soit pas trop consensuel ?
Chaque projet répond à ces questions de manière singulière et empirique. La multiplicité des expériences n’apporte pas une réponse univoque, mais elle esquisse une infinité de pistes et ces dernières convergent toutes à l’endroit d’un désir commun : composer avec la culture des autres. L’enjeu consiste à construire un art à l’image de la société. Dans l’idéal, les démarches qui véritablement impliquent le peuple ne peuvent aboutir qu’à des propositions intrinsèquement populaires. Est-ce toujours le cas dans les faits ?
Les formes proposées sont certes fragiles et souvent éphémères, mais elles ont l’immense mérite de s’attaquer de front à la question de l’égalité, principe fondamental pour tout régime politique qui se prétend démocratique.
Pourtant, les pouvoirs publics sont à la fois impuissants à rendre la société plus équitable et incapables de se saisir des opportunités offertes par ces démarches. Si la situation n’était pas aussi dramatique, on pourrait rire de la schizophrénie des institutions. Elles exigent des projets qu’ils concernent l’ensemble de la population, mais, dans le même temps, elles marginalisent de plus en plus les pratiques participatives et transversales. Certes, les collectivités territoriales, ont dans leur ensemble compris l’intérêt des productions artistiques qui travaillent dans la proximité avec les populations, mais, au moment des choix, elles n’hésitent pas à engloutir des sommes pharaoniques dans des démarches complètement déconnectées de la réalité des territoires. Sous prétexte de « rayonnement  », au plus un équipement sera prestigieux, donc coà »teux, au plus il sera prioritaire. Pendant ce temps, les associations artistiques et culturelles qui fabriquent, au quotidien, du lien social voient leurs moyens et leur marge de manœuvre se réduire toujours plus.
L’excellence artistique reste, au sens propre du terme hermétique, à la majeure partie de la population. Pendant ce temps, les pratiques populaires ne sont pas identifiées par ceux qui ont la responsabilité de fixer le bon goà »t esthétique comme relevant de l’art. La création partagée travaille à abolir ces hiérarchies. Les artistes et opérateurs impliqués dans de telles aventures insistent sur le fait que ces expériences sont au moins aussi enrichissantes pour eux que pour les populations. Les statuts du professionnel et de l’amateur restent différents, par contre, il n’y a plus d’un côté les sachants et de l’autre les ignorants, mais simplement des individus qui cheminent côte à côte vers la conquête d’une plus grande autonomie de pensée et d’action.
Avec ces pratiques davantage démocratiques, l’art n’est plus un luxe qui doit à tout prix rester inutile sous peine de perdre son efficience. Au contraire, les territoires symboliques se reconnectent aux champs politiques et sociaux. Le « faire  » artistique et « l’agir  » dans les affaires de la cité se nourrissent mutuellement. Le défi consiste à rendre plus visible et plus lisible ce changement d’échelle, ce passage réciproque et permanent du singulier au collectif.
Fred Kahn
Textes rédigés à partir des propos tenus à Marseille le 6 avril 2012 lors de l’atelier intitulé « L’Art et le peuple : créations participatives et partagées  »
Bahija Kibou (Af/Ap)
Coordination des Ateliers de réflexions