L'ART DES NOUVEAUX TERRITOIRES : POUR UN MOUVEMENT ARTISTIQUE ET CULTUREL - JUIN 2011

Quels sont les processus de création et de production spécifiques aux Nouveaux Territoire de l’Art ? Comment ces démarches circulent-elles ? Avec quelle économie ? Peut-on identifier des principes récurrents de socialisation et de territorialisation ?


L'art des nouveaux territoires : pour un mouvement artistique et culturel - Juin 2011

â–ºSYNTHàˆSE COURTE

L’Art de Vivre invente des spectacles, des dramaturgies et des mises en scène, mais en cassant complètement tous les dispositifs d’intimidation de la représentation théâtrale. Quand cette compagnie est invitée en résidence dans le Pays Gapençais, elle ne débarque pas avec un savoir et avec la prétention de rendre les gens plus savants. Au contraire l’Art de Vivre revendique une part d’ignorance et même d’idiotie. Pourquoi ? Sans doute pour se libérer du poids des a priori et des conventions sociales, car comme Clément Rosser l’énonce dans son essai le Réel, traité de l’idiotie : « Toute chose, toute personne, sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes  ».

L’aventure des Pas Perdus relève aussi d’une incroyable capacité à créer les conditions pour que vivre devienne un art à part entière et à plein temps. Ce n’est pas un hasard si cette association partage des locaux avec l’Art de Vivre, au Comptoir La Victorine. Bien plus qu’un rapprochement géographique, les deux structures développent, dans des formes très différentes, des approches esthétiques et politiques communes. Pendant trois ans, Les Pas Perdus ont été en résidence à Bruay-la-Buissière, dans l’un des plus anciens sites d’habitat ouvrier du bassin miner du Nord-Pas-de-Calais. Avec 18 « occasionnels de l’art  », ils ont conçu une Promenade du jardin des souhaits bricolés. Au grès de cette déambulation ludique, on croise pas moins de 23 installations in-situ, des sculptures et autres œuvres visuelles et sonores, représentant autant de projections imaginaires et sensibles de cet ancien coron et de son devenir.


A la Cité Maison de Théâtre, Michel André et Florence Lloret explorent la contiguà¯té entre la fiction et le réel : « De notre point de vue, la représentation du réel, donc de nous-mêmes et de ce que nous vivons, ne peut être laissée aux seuls artistes. Il est essentiel d’associer les populations à l’écriture et à la fabrication des gestes, et de travailler, non pas dans le « one shot  », mais dans la permanence  ». Chaque projet est donc l’occasion de rendre présent sur scène ceux que le philosophe Denis Guénoun nomme « les vivants du dehors  ». Pour son prochain chantier artistique, le Théâtre de la Cité a passé commande à l’écrivain Patrick Laupin. Le poète a construit son matériau dramaturgique avec des enfants pour la plupart issus de l’immigration. Cet Alphabet des oubliés sera présenté en ouverture de la Biennale des Écritures du Réel dont la première édition aura lieu au printemps 2012.

Avec de telles démarches, la dichotomie entre production et diffusion n’a plus lieu d’être. Comme le précise encore Michel André, la représentation publique n’est plus une fin en soi, mais une étape nécessaire, un moment de cristallisation essentiel, dans un long cheminement artistique. Ces principes de production en prise directe avec le quotidien dédramatisent la relation à l’art. Tous les barrages idéologiques, économiques, culturels et sociaux qui peuvent se dresser entre l’individu et l’acte artistique s’estompent. Comme le précise Fabrice Raffin, les espaces projets de démocratie artistique agissent à l’endroit d’une relation sensible unique et singulière et pourtant universellement partagée.

Cependant, il apparaît évident que ces aventures entrent très difficilement dans les cadres des politiques publiques de la culture. La structuration du paysage artistique n’est vraiment pas adaptée pour accompagner ce type de projet. Pourtant des complicités existent. Elles sont précieuses. Elles n’opèrent pas avec le système, mais avec des individus, qui, au sein des institutions, sont convaincus de la pertinence de ces démarches. Ces espaces-projets pour exister arrivent alors à tordre les cadres, mais, pas encore, à les transformer. De tels démarches n’ont pourtant pas vocation à être à la marge. Ni d’ailleurs au centre puisqu’elles militent pour la polycentralité. Elles participent tout simplement au renouvellement absolument nécessaire de l’action culturelle.

Sortir l’art de son régime d’exception pour le faire entrer de plain-pied dans la vie quotidienne des gens implique une toute autre approche, non seulement des questions de production et de diffusion, mais également du statut professionnel de l’artiste. En fait, interroger ainsi la place de l’art dans la Cité, remet en cause le fonctionnement global de la société. Les espaces-projets de démocratie artistique expérimentent concrètement des modes d’organisation politiques et sociaux moins rigides et moins hiérarchisés, plus hybrides et « rhizomatiques ». Ils nous obligent à repenser notre relation au politique et à l’économie. Ils travaillent, contre l’individualisme, à la construction d’une collectivité, d’un « nous  » ouvert aux autres. L’échange ne concerne plus uniquement la transaction marchande et financière, car la valeur de l’apport humain s’avère prépondérante.

ARTfactories/Autre(s)pARTs pilote une recherche-action qui, sur trois ans, permettra d’ouvrir un vaste espace de visibilité à ces principes démocratiques. Le dispositif, coproduit par treize espaces-projets de l’aire métropolitaine Marseillaise, associe un travail de réflexion, accompagné par des universitaires, à un acte de production, qui, en avril 2012, sous la forme d’une déambulation artistique, impliquera les populations. La preuve qu’un « tiers espace  » innovant est en train d’émerger. Il traverse les différents champs de l’activité humaine sociale, culturelle, urbanistique, économique, scientifique... Avec pour seul mot d’ordre : « mettre l’humain au cœur du dispositif de travail  ».

Fred Kahn
Textes rédigé à partir des propos tenus à Marseille le 21 juin 2011 lors de l’atelier de réflexions « L’Art des Nouveaux Territoires : pour un mouvement artistique et culturel  »

Quentin Dulieu (Af/Ap)
Coordination des Ateliers de réflexions

Mis à jour le mercredi 26 décembre 2012