"CULTURES, TERRITOIRES ET POLITIQUES PUBLIQUES" DOC KASIMIR BISOU
Texte rédigé à l’occasion d’Uzeste Musical, Visage village des arts à l’œuvre - Mars 2000
« Je ne tenterai pas ici l’ambition déraisonnable de discuter de la multitude des regards contradictoires liant la culture et les territoires. Je voudrais plus modestement me concentrer sur la manière dont les politiques publiques dites culturelles pensent leur rapport aux politiques publiques territorialisées.
J’aborderai le thème de la culture et du territoire à travers le prisme des politiques publiques, celles de la culture d’un côté, celles de l’aménagement et du développement du territoire, de l’autre. »
Cultures, territoires et politiques publiques
Je ne tenterai pas ici l’ambition déraisonnable de discuter de la multitude des regards contradictoires liant la culture et les territoires. Je voudrais plus modestement me concentrer sur la manière dont les politiques
publiques dites culturelles pensent leur rapport aux politiques publiques territorialisées. J’aborderai le thème de la culture et du territoire à travers le prisme des politiques publiques, celles de la culture d’un côté, celles
de l’aménagement et du développement du territoire, de l’autre.1
Ce choix est réducteur. Son seul mérite est de cadrer la complexité des débats en repérant les problématiques fortes qui sont en jeu, pour ouvrir ensuite sur une question imparable : celle de la pertinence des politiques publiques par rapport à la diversité si mouvante des formes esthétiques et des présences culturelles dans l’espace et le temps des villes et des campagnes. Poser la question revient alors, à mon sens, à annoncer la fin de la subvention et à construire le droit commun de la responsabilité culturelle et artistique dans un contexte de démocratie participative.
La première partie retire du magma des propos sur « cultures  » et « territoires  », une clé de lecture qui vaut décryptage de paradigmes : la politique culturelle de l’Etat tend à s’opposer au territoire et sa politique territoriale n’offre guère d’alternatives pour réduire ces tensions. La seconde partie fixera le regard sur les collectivités territoriales et sur leurs attitudes vis-à -vis de la culture. Elle conduira à affirmer que, derrière les déclarations lénifiantes, les actions des collectivités en matière de la culture, pour nombreuses qu’elles soient, sont en panne de responsabilité. La troisième partie sera alors celle de l’ouverture. Elle posera une méthodologie minimale pour replacer le culturel et l’artistique dans les politiques publiques. La perspective sera alors que l’action publique concernant les territoires et les cultures, faute de recettes de bonne femme, parvienne à délimiter ses
responsabilités éminentes dans une démocratie soucieuse de liberté de création et de respect des territoires.
I - La politique culturelle face aux territoires
Apparemment, la politique culturelle est attentive aux territoires, (I-1), comme elle est partie prenante à d’autres politiques publiques. Toutefois, elle aborde le territoire à partir d’un principe de qualité qui laisse peu de marges aux territoires, (I-2). On observe même que ce principe de qualité finit par s’imposer aux politiques d’aménagement du territoire, en instrumentalisant les territoires à son bénéfice, (I-3). La politique culturelle se construit ainsi en s’opposant aux cultures qui font vivre les territoires.
I-1 l’aménagement culturel du territoire comme apparence
Pour ceux qui acceptent de donner du sens à l’expression « aménagement culturel du territoire  » et qui ont lu « l’Atlas des activités culturelles  » sans sourciller, il peut paraître inutilement provocateur d’affirmer que la politique culturelle se construit contre les territoires. Cette idée semble aller contre l’évidence : depuis des années et singulièrement depuis la création du ministère de la culture, Paris n’est plus le seul pôle culturel dans notre pays. L’implantation d’équipements culturels de qualité dans les grandes villes de province est suffisamment avérée pour légitimer l’argument « du succès des politiques de rééquilibrage géographique impulsées par l’Etat et relayées par les collectivités locales  »2.
I-1-1 Un bilan positif
- La complexité des questions et des réponses possibles relatives aux enjeux culturels dans les politiques publiques est largement évoquée dans un ouvrage de synthèse publié par le Conseil de l’Europe « la culture au cœur : contribution au débat sur la culture et le développement en Europe  » 1998
- Extrait de l’avant propos de « l’atlas des activités culturelles  », documentation française, 1998, sous la signature de madame Catherine TRAUTMANN, ministre de la culture et de la communication. Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 1/22 Bon an, mal an, c’est plutôt la bonne union de la culture et du territoire qu’il faudrait chanter. Ce que ne manque pas de faire le département des études et de la prospective du ministère de la culture : « le développement important de l’offre culturelle au cours des vingt dernières années a bénéficié aux principales agglomérations mais aussi à de nombreuses villes moyennes comptant entre 30 000 et 50 000 habitants  ».
- On peut même donner quelques chiffres qui posent la réalité de l’offre culturelle de qualité sur l’ensemble du territoire. Dans le domaine du spectacle vivant, on repère, certes, dans la seule ville de Paris, 4 institutions théâtrales sur les 5 totalement financées par l’Etat comme la Comédie française, Le Théâtre national de Chaillot, Le Théâtre National de la Colline... Ces structures constituent "le premier ensemble de référence de la politique théâtrale de l’Etat" rappelle la circulaire de 1998 sur le théâtre. Si l’on y ajoute l’Opéra de Paris, ces six structures directement dépendantes de l’Etat ont proposé 70 créations et perçu 1,3 milliards de francs sur le budget de l’Etat.
- Mais, ces efforts sur Paris sont contrebalancés par l’existence de nombreuses autres équipes artistiques en région à l’exemple des "centres dramatiques nationaux" au nombre de 44, répartis sur le territoire. On
rappellera aussi que plus d’un tiers des 624 compagnies de théâtre aidées par le ministère en 1999 pour leur activité de création sont implantées hors de la région parisienne. On pourrait de plus évoquer les 19 centres
chorégraphiques nationaux, les 10 centres dramatiques régionaux, les 25 grands orchestres symphoniques, les 14 opéras et les 8 ballets, en région, sans oublier les 65 "scènes nationales", (qui ont pris la suite des
Maisons de la Culture chères à Malraux) dont les activités de diffusion doivent s’accompagner d’objectifs de production artistique, permettant de soutenir les créateurs. Je rajoute à l’argument les 125 scènes de
musiques actuelles que la politique culturelle de l’Etat soutient et dont l’implantation est très largement répartie sur le territoire.
I-1-2 Un bilan qui interroge.
L’évidence de la diversité territoriale des activités culturelles se lit aussi dans l’existence (estimée) de 500 centres culturels ou théâtres municipaux mis en place par les collectivités sous leur propre responsabilité et sans le secours de l’Etat. L’évidence devient toutefois moins limpide lorsque l’on se rappelle que, malgré la pression des collectivités, le ministère de la culture a longtemps considéré que les activités de ces théâtres municipaux ne le concernaient pas. Ce n’est que très progressivement que des aides ponctuelles pour des projets particuliers ont été accordées à quelques-uns de ces théâtres municipaux. Puis l’Etat en est venu à reconnaître l’importance d’un soutien plus systématique à ceux d’entre eux qui étaient soucieux de répondre à des critères d’exigence artistique, en particulier sous forme d’accueil et de résidences d’artistes au sein de l’équipement... Depuis 1994, il a décidé d’apporter "une reconnaissance et un encouragement plus affirmé à certains de ces théâtres", sous le label "théâtres ou scènes missionnés". Une trentaine de ces structures, sur les 500, bénéficie de ce label.
L’union entre la politique culturelle et le territoire commence alors d’être moins évidente. Le ministère ne reconnaît pas toutes les activités culturelles qui se déroulent sur les territoires. Il sélectionne les projets qui lui semblent pertinents et satisfont aux critères qu’il s’est fixé. De ce point de vue, le nombre de projets de nature culturelle qui se présentent sur l’ensemble du territoire est manifestement beaucoup plus important que le nombre de projets pris en considération par la politique culturelle de l’Etat. Tous les Drac peuvent témoigner qu’ils retiennent 20, au mieux 30% des projets qui leur parviennent. La question pertinente peut alors se renverser. Il s’agit moins de s’intéresser aux activités culturelles soutenues par le ministère qu’aux activités qui traduisent la vitalité culturelle des territoires sans pour autant
entrer dans le giron de la politique culturelle de l’Etat. La question devient celle des critères de sélection des projets. Quelle place tiennent les enjeux territoriaux dans la sélection des projets ? La réponse peut être clairement énoncée : le critère préalable à tous les
- Op.Cit : page 6.
- On notera, par ailleurs, que le montant des crédits d’interventions de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, dans le budget 1999, est de 2,084 milliards de francs dont 1,3 milliards sont annoncés comme déconcentrés. La comparaison ne vaut que comme ordre de grandeur. Elle n’est pas pertinente en technique comptable. Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 2/22critères utilisés est la qualité artistique des projets et ce critère est totalement indépendant de la territorialisation des acteurs et des projets. C’est l’existence de ce critère préalable qui fait que la politique culturelle n’est pas un simple dispositif de financement public d’actions de nature culturelle. Elle est avant tout une représentation, partagée par tous les agents du ministère, représentation qui donne sa cohérence à l’intervention du ministère dans le soutien aux projets culturels.
I-2 La qualité comme légitimité spécifique et logique de sélection
La qualité est au cœur de la représentation commune du ministère de la culture. Elle apparaît dès l’origine du ministère et ne l’a pas quitté depuis (I-2-1). Elle traverse le quotidien des pratiques des services dans la
mise en œuvre des logiques de sélection des projets (I-2-2).
I-2-1 La qualité comme légitimité singulière fondatrice et pérenne
On peut saisir l’importance du critère de qualité en revenant aux origines du ministère de la culture, confié à
André Malraux, par le général de Gaulle, avant d’observer les évolutions.
a - Le ministère chargé spécifiquement de la culture est né en 1959. On peut soutenir qu’avant cela, l’Etat avait déjà développé une action publique significative dans le secteur culturel. Maryvonne de Saint Pulgent5
rappelle ainsi, dans un livre récent, que la tradition du mécénat culturel d’Etat est une constante de l’histoire française, depuis les relations privilégiées de Léonard de Vinci et de François 1er.
a-1 Toutefois, la création du ministère de la culture répond à un autre état d’esprit. La véritable nouveauté est dans la représentation, dans la vision de la mission d’intérêt général que le ministère est appelé à remplir.
Philippe Urfalino6 s’est interrogé sur la signification de la création du ministère. L’originalité profonde est sans doute que la politique culturelle devient une politique singulière qui élabore ses propres critères
d’intervention. Pour Urfalino, cette singularité se lit dans le rôle que Malraux donne à la culture dans l’évolution de l’humanité. "La culture est l’héritage des œuvres du passé qui concourent à la qualité de l’homme" dit Malraux en 1959. Urfalino résume dans une formule : "Seul l’art, touchant le cœur et les sentiments, peut rassembler". La mission première du ministère est donc imprégnée de cette vision qui dépasse les enjeux du temps : " Notre travail, dit Malraux, c’est de faire aimer les génies de l’humanité, et notamment ceux de la France". Il ajoute " Les paroles du génie appartiennent à tous et notre fonction est de les faire connaître à tous pour que tous puissent les posséder". L’ambition de la qualité, de l’exigence artistique est ainsi au cœur du nouveau ministère.
a-2 Notons-le immédiatement, cette finalité est indissociable d’une autre finalité : celle de la démocratisation de cette haute culture de référence universelle. La démocratisation consiste "à rendre les biens de la culture accessibles à tous les français, par des voies autres que celles de la connaissance"7. On semble ici rejoindre les préoccupations du territoire, puisqu’il s’agit de couvrir le territoire d’équipements culturels adaptés. Malraux a ainsi attaché son nom au programme de "décentralisation culturelle" que représentaient les "Maisons de la Culture". Toutefois, cette approche du territoire ne fait que conforter la singularité de la politique culturelle. L’objectif de décentralisation culturelle répond pleinement aux missions du ministère puisqu’une maison de la culture "est le lieu de rencontre et de confrontation par excellence entre la culture et ceux qui veulent y accéder, entre ceux qui délivrent le message et ceux qui le reçoivent, entre les artistes et leur public, et tout simplement entre les hommes entre eux." Malraux rappelait ainsi, en 1966, aux députés : "Nous devrions, dans les dix ans, avoir une Maison de la Culture par département." et il ajoutait : "ne jouons pas à créer
5
Maryvonne de SAINT PULGENT : "Le gouvernement de la Culture", édition Gallimard, Paris 1999
6
Philippe URFALINO : "L’invention de la politique culturelle" La Documentation Française, Paris 1996
7
Expression d’Emile Biasini, reprise par André de Baecque : "les maisons de la culture" page 21, édition Seguers Paris
1967 Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 3/22
une Maison de la Culture par an, bien gentiment, agissons sérieusement en sachant, mesdames et messieurs, que ce que je vous demande, c’est exactement vingt cinq kilomètres d’autoroutes !"8 En clair, l’intérêt général que doit défendre le ministère se lit dans la nécessité de promouvoir les valeurs culturelles de qualité. La culture universelle, comme référence de la politique culturelle publique part à la conquête du territoire et de ses identités locales. Elle est enjeu de missions, croisade des vraies valeurs de la
culture. Elle vise d’autres territoires que le centre parisien, sans pour autant modifier ses références et ses hiérarchies, le tout au nom de la démocratisation, c’est à dire pour le bien des habitants des villes et des
campagnes qui n’y ont pas accès. Retenons, de cette première étape, les enjeux fondateurs qui donnent sa particularité à la politique culturelle
de l’Etat : création, présente et passé, universalité et qualité des œuvres, démocratisation de ces valeurs universelles. Le décret fondateur du nouveau ministère "Malraux" en donne les termes, toujours actuels : le ministère a pour mission "de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent." Il trouve là des missions
spécifiques, que n’ont pas les autres ministères. Ces missions d’intérêt général lui appartiennent en propre et c’est à partir d’elles qu’il a pu développer une marge d’autonomie dans son action. Bien entendu, les ambitions énoncées par Malraux, confrontées aux réalités nourrissent des débats sur la légitimité de l’intervention de l’Etat dans le secteur culturel. L’évolution du ministère s’en ressent, mais la spécificité de la politique culturelle en est nullement affectée.
b- La qualité à l’épreuve de la critique.
Je retiendrai, pour m’en tenir à l’essentiel, le thème de la démocratisation et du territoire.
b-1 Le développement culturel. Apparemment, les critiques sont sévères contre cette vision d’un ministère
défenseur de la culture de qualité à vocation universelle. Des voix s’élèvent pour rappeler que la
démocratisation culturelle est à sens unique : des œuvres de l’art et de l’esprit vers le peuple, mais, le
peuple résiste et ne suit pas le mouvement.9
Le débat se développe autour de l’idée que la culture est plurielle10 et que la culture dite universelle est une
culture dominante qui cherche à s’imposer aux autres cultures. L’Etat devrait être conscient qu’il contribue à
renforcer cette domination dès qu’il promeut une politique de démocratisation de la culture. Il lui revient
plutôt de prendre en compte la diversité des cultures, en soutenant en particulier, les différentes formes de
cultures populaires. Les territoires avec leurs identités particulières reviennent en force dans le débat.
Les événements de mai 1968 ont cristallisé la discussion en faveur, non pas de la démocratisation culturelle
mais de la démocratie culturelle. L’objectif de la démocratie culturelle est de favoriser l’expression culturelle
et artistique des individus. Elle apparaît comme l’une des conditions de l’accès à la citoyenneté. A l’opposé,
la démocratisation culturelle, par sa dimension élitiste, renforce la position des privilégiés, des "héritiers"
comme le dit Bourdieu11. Elle accentue les clivages au sein de la société.
Francis Jeanson, dans son livre "L’action culturelle dans la cité"12 donne bien l’enjeu du débat : "Aussi
longtemps qu’il y aura deux cultures dont l’une se prétendra la seule vraie, essayant de faire passer l’autre
pour une inculture, aussi longtemps il n’y aura pas de cité." Le territoire de vie, de citoyenneté, « la cité Â »,
ne se retrouvent pas dans l’affirmation d’une politique culturelle attachée aux seules valeurs de l’exigence
artistique.
8
Assemblée Nationale. Journal Officiel du 28 octobre 1966, p. 3976.
9
On ne donnera, pour l’instant, qu’un seul chiffre : 90% des ouvriers qualifiés ne sont jamais allés à un concert de
musique classique. Sur l’ensemble des données, consulter Olivier DONNAT : "les pratiques culturelles des français" La
Documentation Française, Paris 1998.
10
voir en particulier : Michel de Certeau : la culture au pluriel, éditions 10/18, Paris, 1974.
11
Voir P. BOURDIEU, en particulier : "La distinction, critique sociale du jugement", Editions de Minuit. Paris 1979.
12
Francis JEANSON : "L’action culturelle dans la cité" p.220, éditions du Seuil, Paris, 1973.
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De ces débats souvent houleux, ressortira la nécessité de mettre en place une politique de développement
culturel, qui conduise chacun à enrichir sa propre culture. La politique publique doit s’orienter vers l’action
culturelle (on dirait aujourd’hui "médiation culturelle") en privilégiant le travail d’animation culturelle, pour
favoriser, en particulier, les pratiques artistiques des individus sur leur territoire de vie. A partir des années
1970, et plus encore au début des années 80, avec le ministère Lang, la dimension du "développement
culturel" se renforce et donne lieu à de multiples expériences.
Cette large ouverture, que décrit en détail le récent livre de Claude Mollard13, ne signifie pas pour autant que
le critère de la qualité est mis en position secondaire. Il reste un préalable dans la sélection des projets
culturels. Simplement, les domaines où ils s’appliquent sont élargis : la qualité des formes esthétiques
concerne aussi la bande dessinée, la mode, les musiques amplifiées, la gastronomie.... l’art émerge de
partout et n’a pas de limites fixées a priori, mais l’essentiel n’est pas remise en cause : l’estimation de la
qualité artistique des projets par les professionnels spécialisés. Jack Lang affirme ainsi : " Pour rendre à la
culture cette dimension populaire, je crois n’avoir cédé à aucun moment la moindre parcelle de trivialité...
J’ai tenté de propager cette idée simple : la culture, ce sont d’abord les artistes et les créations au plus haut
niveau."14
b-2 les contre feux intellectuels et le retour à la qualité universelle. Malgré cette préoccupation de la
qualité, ces tentatives d’ouverture vers un horizon artistique large, censé concerner l’ensemble de la société
et rencontrer le quotidien de chacun sur son territoire, ont provoqué des critiques fortes dénonçant les
risques de banalisation et d’instrumentalisation de l’art et la création. Plusieurs courants d’intellectuels
fustigent cette évolution vers le "tout culturel". Le cycle des débats se poursuit, au début des années 90,
contre la disparition du sens des valeurs culturelles. La volonté d’ouverture de la politique culturelle de
l’Etat est fortement critiquée par certains auteurs qui en arrivent à conclure comme Marc Fumaroli : " La
Culture tend à n’être plus que l’enseigne officielle du tourisme, des loisirs, du shopping."15
Alain Finkielkrault16 dans "la défaite de la pensée" n’a pas de mots assez durs pour critiquer l’ouverture à de
nouveaux domaines de création : "A condition qu’elle porte la signature d’un grand styliste, une paire de
botte vaut Shakespeare... un rythme de rock vaut Duke Ellington... le footballeur et le chorégraphe, le
peintre et le couturier, l’écrivain et le concepteur, le musicien et le rocker, sont au même titre des
créateurs... la barbarie a donc fini par s’emparer de la culture".
Comme l’écrit Jean Pierre Sylvestre17 "la générosité multiforme de l’Etat culturel fait-elle progresser
réellement la démocratisation de l’accès aux œuvres et à la création ou bien conduit-elle à la promotion
d’un "tout culturel" qui, par son refus des discriminations et des hiérarchies, finit par vider la culture de
son exigence initiatique et de sa valeur éducative."
Cette oscillation des arguments de légitimité entre les défenseurs des valeurs universelles, dont le livre
récent de Maryvonne de Saint Pulgent répète une nouvelle fois, le credo, et les partisans du développement
culturel, dont le dernier livre de Claude Mollard vante abondamment les mérites, montre des différences
profondes de conceptions sur les contenus de la politique culturelle. Mais à bien y regarder, l’essentiel
demeure : figée dans ses certitudes culturelles ou curieuse d’innovations, la politique culturelle de l’Etat
obéit à un critère spécifique, préalable à tous les autres, celui de la qualité. Cette singularité a fondé le
développement du ministère de la culture.
I-2-2 La qualité comme logique de sélection et le territoire.
On peut donner quelques exemples de la manière dont fonctionne en pratique cette approche de la qualité,
pour mieux cerner comment elle finit par s’opposer au territoire.
13
Claude MOLLARD : "le 5ème pouvoir : la culture et l’Etat de Malraux à Lang" édition Armand Colin, Paris 1999.
14
cité par Claude MOLLARD, op. cit., page 302.
15
Marc FUMAROLI : "L’Etat Culturel : essai sur une religion moderne", page 252. Edition de Fallois, Paris, 1991.
16
Alain FINKIELKRAUT : " La défaite de la pensée", édition Gallimard, 1987, pages 138, page 165.
17
Jean Pierre SYLVESTRE : "Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ?". Introduction, p.9. revue HERMES.
CNRS éditions, Paris, 1996.
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La logique de sélection des projets portés par le ministère de la culture repose sur l’appréciation de la
qualité des projets par les spécialistes de chaque discipline artistique. A mon sens, on peut dire que cette
logique de "l’exigence artistique" a valeur de paradigme commun, fondateur des attitudes et des
comportements des acteurs de la politique culturelle de l’Etat. Il ne s’agit pas d’un principe constitutionnel,
ou d’une obligation législative (sauf dans le domaine du patrimoine). Le critère de qualité fonctionne surtout
empiriquement comme vérité partagée par les agents du ministère et la plupart des acteurs et de leurs
partenaires des collectivités.
Dans toutes ses négociations de politiques publiques, le ministère s’emploie régulièrement à défendre le
respect de la qualité, de l’exigence artistique, de la liberté de la création ou plus couramment, du
professionnalisme des bénéficiaires de subvention. Il est attentif au risque d’une ouverture incontrôlée qui
conduirait à soumettre les projets culturels à des préoccupations utilitaires ou identitaires susceptibles de
réduire la liberté des créateurs, en un mot, à instrumentaliser la culture. Il est soutenu en cela par les
professionnels de l’art et de la culture, qui ont progressivement renforcé leur position. Le ministère a ainsi
conforté, en 40 ans, la légitimité de positions spécifiques attachées à l’art et à la culture. L’exigence de la
qualité tend à imposer son autonomie.
Dans la pratique, la logique de la qualité revient à considérer que le jugement des pairs se suffit à lui même.
La logique de la discipline artistique, de son histoire et de ses codes, s’impose sur toute autre considération,
en particulier territoriale ou identitaire.
J’évoquerais rapidement deux exemples significatifs, sans insister sur les dispositifs et les modalités d’action
du ministère.
a - FRAC et territoire
Un premier exemple parlant concerne les FRAC (Fonds régionaux d’art contemporain). Le ministère de la
culture a proposé à chaque Conseil Régional de constituer, en partenariat avec lui, une association
dénommée FRAC dont l’objectif principal est de financer, ensemble, l’achat d’œuvres d’artistes plasticiens et
de promouvoir la jeune création en arts plastiques. La doctrine régulièrement rappelée est que la politique
d’acquisition des œuvres n’a pas à tenir compte de l’origine territoriale des artistes. Elle doit concerner
uniquement la qualité de l’œuvre. Ce rappel est d’autant plus nécessaire que certains élus régionaux ont
tendance à dire : "les moyens financiers étant accordés par la collectivité régionale, il conviendrait de
privilégier les peintres de la région, qui expriment dans leurs œuvres les sensibilités régionales sinon même
l’identité régionale". L’immixtion du critère territorial dans la politique d’acquisition des FRAC est toujours
combattue avec vigueur par les services du ministère de la culture, dans la mesure où la pertinence des
formes exprimées par l’artiste n’est pas acquise sous prétexte de son ancrage identitaire. Le critère de qualité
s’apprécie au-delà de toute référence à une localisation particulière, qui ne donne, a priori, aucun droit
particulier à la qualification "artistique".
Le débat revient régulièrement sur la scène politique, mais à ce jour, les critères du ministère se sont
imposés dans le fonctionnement des FRAC.
b - Un second exemple concerne le réseau des organismes de création et de diffusion de spectacles
vivants soutenus par le ministère.
Les organismes culturels sur lesquels le ministère s’appuie pour mettre en œuvre sa politique, sont très
souvent le fruit d’un partenariat avec des collectivités. L’Etat ne peut agir seul. Sa politique dépend de
l’adhésion des collectivités territoriales.
L’exemple des "centres dramatiques nationaux" montre bien comment, dans ce partenariat le critère de la
qualité demeure essentiel. La mission première des CDN, même si ce n’est pas la seule, est de "proposer les
spectacles qu’il crée ou coproduit aux publics les plus larges... Eu égard à sa vocation d’exemplarité en
matière de création et de programmation théâtrale, chaque centre dramatique doit être un lieu de référence
tant sur le plan local que national."18
18
Circulaire du 19 mars 1999 sur "les orientations pour la politique du théâtre et du spectacle" (fiche sur les centres
dramatiques nationaux)
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L’autonomie des critères artistiques qui caractérise la politique culturelle du ministère (qui n’est pourtant pas
le seul financeur), se traduit par la nomination du directeur par le ministre. De surcroît, le centre dramatique
national développe un projet artistique qui est négocié entre le ministre et le directeur pressenti. Un cahier
des charges, le contrat de décentralisation établi pour trois années, est alors défini et fixe les objectifs à
atteindre, en particulier le nombre de créations que doit produire la structure.
Nous sommes là devant une caractéristique fondamentale de l’organisation de la politique culturelle de
l’Etat, en France19 Pour conduire sa politique, le ministère s’appuie sur des structures culturelles dont il
reconnaît la qualité et le professionnalisme du travail. L’aide directe aux artistes est en fait relativement
limitée. Le soutien public de l’Etat passe surtout par le financement d’organismes spécialisés qui, par leur
activité de production artistique et de diffusion, apportent des moyens aux artistes. Ces organismes ont donc
une mission de choix artistiques qui leur est confiée par l’Etat. L’essentiel pour notre débat est que
l’appréciation de la qualité artistique du projet de la structure relève de la compétence du ministère, en
particulier à travers le rôle des inspecteurs spécialisés et des commissions d’experts désignés.
Cette logique vaut aussi pour les structures dont l’activité est spécialisée dans le patrimoine (musée,
protection et sauvegarde du patrimoine). A l’exception des archives, on pourrait donc généraliser ces
exemples pour aboutir à la même conclusion : l’implantation sur le territoire d’une structure inscrite dans la
politique culturelle de l’Etat est strictement dépendante de l’estimation de la qualité du projet sous la seule
responsabilité du ministère. Le territoire vient après la qualité, et, pourrait-on dire, la politique culturelle
instrumentalise le territoire qui lui sert soit d’espace de diffusion (ce que l’on appelle le public qui n’a rien
d’autre à dire qu’à apprécier la qualité proposée), soit d’espace de repérage, de « réserves foncières  » pour
de nouveaux talents répondant aux critères de qualité. C’est donc sur cette base de l’utilité du territoire pour
la politique culturelle et non de l’utilité de la culture pour le développement du territoire que s’est
développée la politique du ministère de la culture.20
En clair, l’histoire culturelle que le ministère de la culture inscrit sur le territoire est la sienne, celle qui
résulte de l’appréciation de la qualité par les spécialistes de chaque discipline, tel que le ministère les repère
à chaque moment de son développement. Le territoire n’a pas d’autonomie vis-à -vis de la politique
culturelle de l’Etat. Ses cultures, traditionnelles ou émergentes, sont rejetées du cercle, disqualifiées comme
ethnologiques ou socioculturelles. Le territoire n’est pas majeur tant qu’il n’a pas pénétré dans l’univers de
la qualité artistique, selon les critères retenus par le ministère et les professionnels inscrits dans le cercle de
la politique cultuelle.
I-3 - Aménagement culturel du territoire et intégration de la culture dans le
développement territorial
Je voudrais conclure ce point par une réflexion sur la notion même d’aménagement culturel du territoire qui
est fréquemment utilisée et paraît banale en soi.
Je voudrais surtout souligner la logique du raisonnement qui préside à l’utilisation de cette notion.
1 - La politique culturelle de l’Etat ne concerne pas toute les activités culturelles qui pour beaucoup
d’entre elles dépendent de la logique du marché libre . Elle ne prend en compte que certaines références
culturelles, sélectionnées au sein de réseaux spécialisés par disciplines, réseaux qui sont étroitement
associés au dispositif de l’Etat. L’argument qui justifie cette sélection est celui de la qualité, de l’exigence
artistique, que le marché ne peut prendre suffisamment en compte du fait de ses impératifs de rentabilité.
Le dispositif de l’Etat repère ainsi une « offre culturelle  » légitimement liée à l’intervention publique.
2 - A un second niveau de raisonnement, apparaît le constat de l’aménagement du territoire. On
observe que cette offre culturelle validée d’intérêt public n’est pas présente sur l’ensemble du territoire.
19
Il est toutefois nécessaire de se rappeler que 44% du budget du ministère de la culture, seulement, est mobilisé pour
participer à ces politiques de soutien aux organismes culturels qui ne sont pas directement sous l’autorité de l’Etat.
20
On lira avec profit l’analyse d’Urfalino sur l’histoire des maisons de la culture en particulier sur la polémique entre la
fédération des centres culturels communaux, dans « l’invention de la politique culturelle  », en particulier pages 114 à
159.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 7/22
Lorsque l’Etat donne de l’importance à la question des déséquilibres entre les territoires, il n’est pas difficile
pour la politique culturelle du ministère de la culture de s’inscrire dans cette politique territoriale avec
l’argumentaire suivant : Il est légitime que l’offre culturelle de qualité soit mise à la disposition des
populations de la nation qui vivent dans des zones mal pourvues. L’offre culturelle de qualité doit être
aménagé de manière plus harmonieuse sur le territoire. On parle même de réduire les inégalités d’accès à la
culture au bénéfice des populations éloignées de l’offre culturelle.
C’est le sens qu’il faut donner à la notion d’aménagement culturel du territoire.
3 - Le raisonnement commence à soulever une certaine perplexité lorsque les territoires ne sont plus
seulement des espaces d’activité ou de non-activité, mais deviennent des espaces organisés pourvus du
pouvoir légitime d’intervenir au nom de l’intérêt général. L ‘aménagement culturel du territoire ne peut plus
être conçu comme la réponse évidente de nature empirique. Il apparaît vite que la mise en œuvre de
l’aménagement culturel du territoire signifie promotion des principes et valeurs qui fondent la politique
culturelle de l’Etat. Elle signifie volonté de faire partager cette conception aux territoires qui, par ailleurs,
sont dotés d’une capacité largement autonome de dire, eux aussi, l’intérêt général.
Tant qu’une loi ne définit pas les contours de l’intérêt général « culturel  » à respecter par tous les décideurs
publics sur tous les territoires, comme c’est le cas pour la patrimoine ou les archives, rien n’empêche les
pouvoirs territoriaux d’adopter une conception différente de l’intérêt général « culturel  » de celle de l’Etat.
Il est clair qu’il faut s’attendre à des conflits de légitimité sur la consistance de l’intérêt général applicable
sur le territoire dans le domaine culturel.
On peut tracer par exemple un scénario extrême : le « pays  » définit librement un projet de développement
territorial global. Il inclut un volet culturel visant à promouvoir les langues du pays, les traditions festives
ou alimentaires, les artistes travaillant au pays... le volet culturel est légitime, il est justifié par l’intégration
de la culture dans le projet de développement territorial.
On n’entre pas, ici, dans le cadre de « l’aménagement culturel du territoire  » puisque le volet culturel ne
prend pas nécessairement comme référence la qualité de l’offre par le réseau qualifié par le ministère de la
culture.
On parlera peut-être de qualité mais dans un autre sens : la qualité tiendra à la capacité des actions
culturelles à rassembler, à fusionner les dynamiques symboliques locales, à renforcer l’identité culturelle du
territoire.
Le fait nouveau est que l’approche de l’intégration de la culture dans le projet de développement est tout
aussi légitime que l’approche de l’aménagement culturel du territoire.
Derrière les apparences des propos sur la concertation et le partenariat entre les services de l’Etat et les
collectivités, c’est bien un problème de confrontation de principes et de valeurs qui se pose.
Au delà de la question de l’identité culturelle, l’approche de l’intégration de la culture dans le projet de
développement territorial repose une stratégie d’action antinomique avec la stratégie de l’aménagement
culturel du territoire.
Sur le territoire, les populations de diverses origines et de diverses positions sociales vivent dans des univers
symboliques complexes qui imprègnent leurs comportements quotidiens. La manière de manger, de parler,
de travailler, de se déplacer se ressent de ces jeux symboliques pas toujours faciles à isoler de leur contexte.
On retrouve ici l’orientation de la politique culturelle de l’Unesco qui s’attache à retenir la conception
ethnologique de la culture.
On peut donc comprendre qu’en tout ou partie les politiques territoriales se donnent comme objectif
d’intérêt général de mobiliser ces dynamiques symboliques au nom du lien social de la créativité, de
l’expression des habitants et même de la démocratie participative, pour contribuer au développement local.
Dans cette stratégie, l’offre culturelle n’est pas donnée d’avance, même dans sa forme traditionnelle
d’exposition, de spectacle ou d’atelier de pratique artistique. Elle doit s’adapter pour répondre aux
références culturelles des populations concernées. Il n’y a pas de nécessité que les actions du volet culturel
correspondent aux critères de l’aménagement culturel du territoire.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 8/22
D’ailleurs, le ministère de la culture a repéré depuis longtemps cette stratégie qu’elle qualifie de
socioculturelle. Dans ses plus mauvais moments, elle la considère comme une stratégie dangereuse qui
enferme les habitants dans leur univers culturel, Elle devient une stratégie du « ghetto culturel  » qui perd
ainsi sa légitimité d’intérêt général.
L’aménagement culturel du territoire peut alors défendre sa légitimité intemporelle, au titre des œuvres de
l’art et de l’esprit, marques de l’humanité contre la barbarie. Elle a par contre le défaut d’être peu en phase
avec les attentes des habitants.
Voilà donc posée la quadrature du cercle de la légitimité culturelle dès lors que la politique culturelle
publique se trouve confrontée à la question des territoires. Comment concilier la logique publique de
l’aménagement culturel du territoire et la non moins légitime politique publique de l’intégration de la culture
dans le développement territorial ?
Cette question est de pleine actualité avec les positions que l’Etat a prises dans le cadre de la loi sur
l’aménagement et le développement durable du territoire et la loi sur l’intercommunalité.
Comment dans ce cadre se jouent les confrontations entre ces deux approches des politiques culturelles
publiques ?
I-4 - politiques territoriales de l’Etat et cultures
Le projet culturel territorial n’a pas d’existence tant qu’il ne se construit pas sur les valeurs de qualité qui
fondent la singularité de la politique culturelle de l’Etat.
On pourrait penser que cette assertion est excessive à un moment où l’Etat, exécutif et législatif, s’engage
dans une nouvelle approche de l’aménagement et du développement du territoire. Pourtant cette
représentation de la politique culturelle s’est, de fait, imposée aux politiques d’aménagement et de
développement du territoire, contre leurs propres objectifs. La culture en vient à nier le territoire au sein
même des politiques territoriales.
Je vais donc évoquer, rapidement, la loi LOADDT 21 et la loi sur l’intercommunalité22 pour renforcer la
démonstration, sans évoquer, pour l’instant, la problématique particulière de la « Politique de la Ville  » ou
les programmes européens liés aux zones en difficultés.
1- Première remarque : la LOADDT prône l’idée de projet de développement global des territoires, pays et
agglomérations.
Chaque agglomération doit envisager de définir un tel projet et la loi en définit les termes dans son article
26. L’avenir se trouve, ainsi, dessiné dans de nombreux secteurs, mais la culture n’est pas mentionnée. l’Etat
a gardé pour lui les prérogatives de définir les perspectives culturelles sur le territoire national.23
21
Loi N° 99 533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire et portant
modification de la loi N°95115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.
22
Loi N° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
23
Donnons le plaisir de la lecture de l’article 26 de la LOADDT dont l’intérêt n’échappera qu’aux gardiens du dogme.
Article 26 : L’article 23 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 23. – Dans une aire urbaine comptant au moins 50000 habitants et dont une ou plusieurs communes centre
comptent plus de 15000 habitants, le ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents en
matière d’aménagement de l’espace et de développement économique, s’il en existe, et les communes de l’aire urbaine
qui ne sont pas membres de ces établissements publics mais souhaitent s’associer au projet, élaborent UN PROJET
D’AGGLOMÉRATION. Ce projet détermine, d’une part, les orientations que se fixe l’agglomération en matière de
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET DE COHÉSION SOCIALE, D’AMÉNAGEMENT ET D’URBANISME, DE TRANSPORT ET DE
LOGEMENT, DE POLITIQUE DE LA VILLE, DE POLITIQUE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE GESTION DES RESSOURCES selon les
recommandations inscrites dans les agendas 21 locaux du programme “Actions 21†qui sont la traduction locale des
engagements internationaux finalisés lors du sommet de Rio de Janeiro des 1er et 15 juin 1992 et, d’autre part, les
mesures permettant de mettre en œuvre ces orientations.
« Un CONSEIL DE DÉVELOPPEMENT composé de représentants des MILIEUX ÉCONOMIQUES, SOCIAUX, CULTURELS ET
ASSOCIATIFS est créé par des délibérations concordantes des communes et des groupements ci-dessus mentionnés. Le
conseil de développement s’organise librement. Il est consulté sur l’élaboration du projet d’agglomération. Il peut être
consulté sur toute question relative à l’agglomération, notamment sur l’aménagement et sur le développement de celle-
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 9/22
Dans la loi sur l’intercommunalité, les communautés urbaines nouvelles peuvent prendre une compétence
culturelle mais l’article 6 limite cette perspective à la gestion d’équipement. La philosophie du projet, chère
à la LOADDT, se trouve réduite à ce qu’elle critiquait, la logique du béton. Les communautés urbaines ne
pénétreront pas le terrain sacro-saint de la qualité du projet culturel, leurs compétences s’arrêtent aux murs,
pour payer les frais de fonctionnement et d’entretien.
Pourtant, ce sont les mêmes députés, pendant la même période, qui ont voté ces deux textes.
On pourrait dire qu’après tout la culture n’est pas un enjeu majeur du développement durable des territoires.
Toutefois, on observe que la LOADDT impose à l’Etat la nécessité d’établir un schéma des services
collectifs culturels. La culture est donc bien présente dans les préoccupations de l’aménagement du
territoire.
2- Les schémas de services collectifs culturels.
Je ne vais pas ici reprendre en détail le contenu de la loi sur ses fameux schémas des services collectifs
culturels. Je reteindrai seulement le premier alinéa qui en dit long sur la fermeture de la politique culturelle
aux enjeux territoriaux.
L’article 14 qui définit les schémas des services collectifs culturels comprend le paragraphe suivant :
"Le schéma de services collectifs culturels définit les objectifs de l’Etat pour favoriser la création et
développer l’accès de tous aux biens, aux services et aux pratiques culturels, sur l’ensemble du territoire".
Cette formulation est banale dans son apparence. Elle ne semble pas poser de difficultés de compréhension.
Elle est vécue comme une proposition de bon sens, bien ancrée dans la tradition de la politique culturelle de
l’Etat. Le rapporteur de la loi à l’Assemblée Nationale reconnaît qu’il ne s’agit pas "d’une novation", mais que
l’objectif affiché "correspond à de réels besoins".
Derrière le bon sens, il reste pourtant de fortes interrogations. J’en formulerai quatre, parmi bien d’autres...
a - L’accès à la culture
Le schéma doit permettre de "développer l’accès" à la culture, par le biais des services, des biens et des
pratiques culturels. Pour ma part, je vois la difficulté dans l’utilisation du terme "accès". On ne peut pas ne
pas repérer, dans l’idée "d’accéder", une vision dichotomique du monde de la culture : Il y a ceux qui y sont
et ceux qui devraient y accéder.
La problématique de l’accès renvoie inévitablement à la certitude qu’il existe une culture de référence qui
fixe les contours de l’Homme Cultivé. Constitutives de la culture universelle, ces références seraient
indispensables à l’émancipation de ceux que l’origine sociale ou les hasards de la vie auraient privé de l’accès
à ces véritables valeurs de civilisation.
Si l’on relisait les débats au Parlement, on verrait assez bien que la traduction concrète de ces présupposés se
résume à favoriser la diffusion des activités des organismes culturels reconnus par le ministère de la culture.
La boucle de la banalité trompeuse est bouclée : l’objectif de l’accès finit par se résoudre dans la
consolidation des organismes culturels traditionnels pour qu’ils présentent plus de "spectacles" ou
"d’expositions" aux publics, au plus près de leurs lieux de vie et au prix le plus bas.
L’approche est celle de l’aménagement culturel du territoire qui suppose que la compétence culturelle est
donnée d’avance. Il s’agit simplement de permettre à ceux qui n’ont pas cette compétence de l’acquérir, par
ci.
Autrement dit, les agglomérations ont à préparer un projet de développement global, où les enjeux culturels ne figurent
pas.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 10/22
l’effet d’une "dissémination", sur le territoire, de l’offre culturelle instituée. Le territoire n’a plus qu’à
attendre qu’arrive jusqu’à lui l’offre culturelle de référence à laquelle il convient d’accéder.
b - La création.
L’Assemblée Nationale a ajouté au texte initial une référence à la création. La philosophie sous-jacente
demeure : la loi suppose que l’on peut isoler, sans difficulté, des réalités sociales qui auraient la qualité d’être
des créations d’ordre artistique.
Par contre, elle ne s’interroge pas sur les voies et moyens qui conduisent à produire cette qualification
prestigieuse.
Quand on songe que la "création" musicale, regroupée sous la catégorie générique de "musiques amplifiées",
n’est parvenue que difficilement à pénétrer le domaine réservé de la politique publique culturelle, on est
contraint de constater que l’univers de la dite "création" est délimité par des frontières bien arbitraires...ce
qui sied mal à l’esprit législatif.
Faute de saisir la difficulté à désigner ce qui fait "création", la loi ne fait qu’entériner l’acquis. Elle se
contente de consacrer la hiérarchie institutionnelle des valeurs culturelles.
Elle ne cherche pas à favoriser les évolutions pour promouvoir de nouvelles relations entre les populations,
leur territoire, et les formes esthétiques.
Elle n’est, pourtant, pas entièrement dupe. Elle sait que la hiérarchie existante des valeurs culturelles n’est
guère en phase avec les dynamiques culturelles des populations.
La loi intègre, donc, un paragraphe qui pointe cette difficulté sans avoir le courage de la régler. Le
paragraphe dit : "le schéma renforce la politique d’intégration par la reconnaissance des formes
d’expression artistique, des pratiques culturelles et des langues d’origine."
La loi montre, ainsi, son embarras, en affichant une volonté politique mal maîtrisée à propos de références
culturelles liées, peu ou prou, à l’immigration. On voit poindre ici les enjeux déterminants de la Politique de
la Ville et celle de la revitalisation des zones rurales. Mais, noblesse oblige, on ne parle plus de "création"
mais de simple "reconnaissance". La perspective d’une ouverture sur les cultures des populations n’est
envisagée que du bout des doigts, dans une formulation dont la signification est difficile à saisir, dans le
contexte institutionnel de la politique culturelle de l’Etat.
c - Tous, sur l’ensemble du territoire
Troisième observation, le paragraphe sur l’accès à la culture est généreux dans ses préoccupations, puisqu’il
vise l’accès "de tous, sur l’ensemble du territoire". Cette générosité est-elle pertinente ?
Elle l’est sur le principe de l’égalité des citoyens devant le service public. Elle l’est moins si l’on envisage son
opérationnalité. La loi s’offre, ici, un voyage gratuit dans l’univers du mythe.
c-1 - La localisation des activités culturelles et l’ambiguà¯té de la politique d’aménagement culturel du
territoire.
Force est de constater que les équipements implantés sur les territoires ne concernent pas toutes les
populations.
* les équipements culturels de qualité ne bénéficient pas vraiment aux quartiers périphériques des centres
urbains, ni au milieu rural. Le réseau culturel du ministère et de ses partenaires est au centre. Les capitales
régionales jouent le même rôle par rapport à leur environnement territorial que Paris pour le territoire
national.
* Les équipements culturels de qualité proposent une offre culturelle qui n’est pas spécifique au territoire
d’implantation. Il s’agit surtout de délocalisation de formes culturelles dont la valeur est attestée par le
jugement de qualité des professionnels spécialisés dans chaque discipline artistique. On peut dire que la
politique d’aménagement culturel du territoire est avant tout une stratégie qui diffuse sur le territoire les
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 11/22
préoccupations du ministère. En cela, elle est très différente d’une politique d’intégration d’activités
culturelles dans les politiques locales de développement.
Dès lors, la question des relations entre la politique culturelle et le territoire reste posée. Comment
développer les projets culturels dans les zones urbaines et rurales éloignées des centres-villes ? Comment
surtout organiser une offre culturelle de proximité qui soit non seulement proche géographiquement mais
surtout proche des centres d’intérêt des habitants ?
La question du territoire et de la culture est alors de savoir si le territoire des spécialistes de chaque
discipline artistique (où se joue la qualification de la valeur de l’offre culturelle soutenue par l’Etat) peut se
croiser avec le territoire de vie des habitants, avec ses références symboliques et ses pratiques culturelles
particulières.
c-2 - La confrontation de la politique de qualité avec les pratiques culturelles des français.
On rappellera, ici, ce qu’affirmait madame Trautmann, ministre de la culture, dans une récente conférence
de presse24 :
"- 71% des ouvriers non qualifiés, 64% des ouvriers qualifiés, 51% des employés, 56% des agriculteurs,
34% des professions intermédiaires, déclarent n’être jamais allé au théâtre au cours de leur vie, contre 13%
des cadres supérieurs.
Le public des fidèles du théâtre est composé à 65 % de cadres supérieurs ou de professions
intermédiaires."
D’autres chiffres pourraient être donnés qui montrent la faible pénétration des équipements culturels
subventionnés au sein de la population.
De plus, en quarante ans, les évolutions ne sont pas vraiment visibles, malgré l’intervention de l’Etat. Le
noyau dur des fidèles tourne autour de 10% à 12% de la population et se recrute dans les grandes villes
parmi les plus diplômés. Comme l’écrit Olivier Donnat25 : "On n’observe aucune réduction significative des
écarts (de fréquentation des équipements culturels) entre les milieux sociaux depuis 1989", "la fréquentation
des équipements culturels demeure dans la majorité des cas, plus encore qu’en 1989, occasionnelle", avec un
clivage majeur entre « la minorité des français détenteurs d’une culture de sorties  » entendue comme la
propriété de cumuler un rythme élevé et une réelle diversité de sorties culturelles et les autres pour lesquels
la logique du cumul ne fonctionne pas ou peu".
I-4-3 - Une réponse partielle qui pose un problème de responsabilité publique
Ainsi, le principe même de l’aide aux organismes culturels de qualité, ne peut pas faire l’impasse sur ces
situations. Le territoire et ses logiques de vie ne peut se limiter aux centres urbains et aux acteurs (diplômés)
qui en contrôlent symboliquement le fonctionnement. Pourtant, la LOADDT a évité le débat, pour ne pas
risquer de mettre en péril la singularité de la politique culturelle développée par le ministère de la culture.
En ne relevant pas ce défi, la LOADDT et la loi sur l’intercommunalité n’offrent qu’une réponse partielle et
un tantinet conservatrice, par rapport aux enjeux des cultures dans la ville. Les observations seraient les
mêmes si on s’intéressait plus précisément à la Politique de la Ville.
Il demeure que la spécificité de la politique culturelle est confrontée au problème politique de son
intégration dans les autres politiques de l’Etat. Cette question de reconnaissance des enjeux culturels dans
les politiques territoriales ne peut se réduire au simple mirage de l’accès à la culture ou de la conquête de
nouveaux publics ni se résumer à un problème de lutte contre les inégalités culturelles.
La conclusion de cette première partie n’est guère optimiste. Au delà des statistiques, le problème posé est
d’abord un problème de principe : les citoyens libres ne sont pas demandeurs de ces références culturelles
qui forment le noyau de la politique culturelle publique.
24
Communication en Conseil des Ministres de Catherine Trautmann, Ministre de la Culture et de la Communication,
mercredi 23 juin 1999 sur "Les mesures nouvelles en faveur de la démocratisation de la culture".
25
Olivier DONNAT : "Les pratiques culturelles des français" op.cit. page 220
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 12/22
Le problème de la culture et du territoire est alors moins dans l’existant que dans le silence, le refus, le rejet
de la majorité de la population envers la culture de référence de la politique culturelle. Or, en tant que
politique d’Etat, elle ne peut pas jouer contre les territoires spatiaux ou sociaux. L’imaginaire urbain impose
ses présences multiples et ne peut être considéré comme un fantôme par la politique culturelle, fantôme qu’il
faudrait exorcicer sous prétexte qu’il n’a pas reçu les sacrements indispensables pour exister dans le cercle
des spécialistes reconnus par le ministère de la culture.
D’un autre coté, on verrait mal que toutes les formes d’imaginaires qui circulent dans les réseaux complexes
des interactions urbaines soient objet de politiques publiques visant à tout controler, cerner, encadrer ou
réorienter, sous prétexte de développement du territoire ou de démocratie culturelle.
La question devient alors celle de la responsabilité publique. Où commencent, où s’arrêtent les
responsabilités publiques face au foisonnement des jeux culturels qui traversent la ville ?
Le ministère de la culture a tenté de résoudre les difficultés en dessinant les contours d’une charte des
missions de service public pour le spectacle vivant, où l’attribution d’une aide de l’Etat va de pair avec
l’exercice de responsabilités territoriales, sociales et professionnelles des organismes culturels. Mais, à bien
y regarder, la responsabilité première reste la responsabilité artistique, conformément au paradigme de la
qualité. La Charte ne fait alors que confirmer que la politique culturelle ne met pas en débat public le critère
de qualité. Elle impose une normativité aux territoires de vie, au nom même de la démocratisation culturelle.
En conséquence, les politiques de l’Etat ne parviennent pas à élucider les relations contradictoires que les
territoires, singulièrement les territoires urbains, entretiennent avec les présences culturelles.
Toutefois, les politiques de l’Etat ne sont pas les seules politiques publiques légitimes. Les collectivités ont
aussi leur mot à dire dans cet enchevêtrement complexe des cultures et des territoires. Comment les
collectivités engagent-elles leur responsabilité dans le traitement public de la ville et de ses cultures ?
II - Territoires de politiques publiques et culture :
la place des collectivités26
La décentralisation a conforté le rôle des collectivités territoriales. L’intérêt général n’est plus l’apanage de
l’Etat, dès lors qu’il s’agit de contribuer au développement territorial. Je donnerai d’abord quelques
indications globales sur les relations ente les collectivités et la culture, avant d’analyser la nature des
responsabilités publiques qui les conduisent à intervenir, sur leur territoire, au bénéfice d’activités
culturelles.
II-1 - L’intervention des collectivités est massive.
1 - On peut donner quelques chiffres qui posent la réalité de l’offre culturelle de qualité sur l’ensemble du
territoire.
A priori, le rôle des collectivités, communes, départements, régions, est important dans le secteur culturel.
Elles sont, globalement, très présentes en matière de financement public de la culture. Les derniers chiffres
synthétiques de 1993 rappellent que les collectivités consacrent deux fois et demie plus de moyens que le
ministère de la culture pour soutenir les activités culturelles. Les communes de 80000 à 100000 habitants
dépensent, en moyenne, près de 17% de leur budget de fonctionnement pour la culture, quand le ministère
de la culture ne dispose que de 1% du budget de l’Etat.
On peut, aussi, dire, que les communes de plus de 10000 habitants consacraient en moyenne, en 1993, 682
francs par habitant pour le fonctionnement des activités culturelles. Les plus importantes d’entre elles, de
plus de 150 000 habitants, atteignaient le chiffre de 1252 francs par habitant alors que les villes moyennes
de 80000 à 100000 habitants accordaient plus de 1700 francs par habitant. Par contre, les départements se
26
Sur l’ensemble du paysage de coopération culturelle entre les collectivités et l’Etat, on citera l’ouvrage de Fabrice
THURIOT : « Culture et territoires  » Edition L’Harmattan, 1999, Paris.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 13/22
limitaient, en moyenne, à 61 francs par habitant, en dépenses de fonctionnement et les régions à 16 francs
par habitant.
Cette capacité d’intervention est à appréhender dans le cadre des pouvoirs croissants que les collectivités ont
acquis au cours du temps.
2 - Des compétences générales en matière de culture.
L’organisation administrative de la France a profondément évolué depuis 1982, avec l’adoption des lois de
décentralisation : les communes, les départements, les régions deviennent des collectivités responsables,
dirigées par un exécutif dont la légitimité provient du suffrage universel. La décentralisation correspond à
cette capacité des collectivités à agir au nom de l’intérêt général, sur leur territoire de compétences.
Dans ce cadre, les collectivités ont des compétences générales en matière culturelle. L’Etat a gardé ses
compétences en matière de protection du patrimoine et de contrôle de la sauvegarde des biens protégés. Pour
le reste, les compétences d’intervention, dans le secteur culturel, n’ont pas été découpées par collectivité. On
note seulement que les départements ont reçu mission d’organiser les archives départementales et la
bibliothèque départementale.
En pratique, cela signifie que les collectivités territoriales peuvent, si elles le souhaitent, financées des
activités de culture et mettre en œuvre une politique dans ce secteur. Elles le font au titre d’une compétence
générale relative, comme le dit la loi, au "développement économique, social et culturel". Cette formulation
montre que la question culturelle se fond dans une préoccupation plus globale. Elle n’est pas appréhendée de
manière autonome, avec des critères spécifiques comme c’est le cas au niveau de l’Etat pour le ministère de
la culture.
Partons de là pour en tirer les conséquences sur les approches de la culture par les collectivités.
II-2 - Les grandes tendances de l’intervention des collectivités dans le secteur
culturel
Les politiques culturelles locales font l’objet d’observations de plus en plus poussées27 qui confirment la
variété des situations et la difficulté de présenter une synthèse fiable qui élucide toutes les raisons poussant
les collectivités à être présentes dans le secteur culturel.28
Pour notre sujet, nous retiendrons deux entrées
1- La première tend à conforter la spécificité de la politique culturelle.
On peut comprendre, que la présence de forces intellectuelles, particulièrement dans les grandes
agglomérations, peut conduire, sous la pression ou non, à financer des actions culturelles qui répondent à
des critères de qualité. La sélection peut alors s’opérer sur les critères de la discipline artistique, hors de tout
particularisme culturel local. Dans ce cas, l’Etat se trouve en bonne compagnie. Il est à même de proposer
aux collectivités de développer des structures où le critère de qualité sera accepté par les élus. Les années 80
ont été particulièrement riches dans ce domaine et ont vu se développer les structures partenariales de
création et de diffusion que nous évoquions précédemment.
Le critère de qualité, contrôlé par le ministère de la culture, vient alors conforter des stratégies de
développement local, pilotées par la collectivité. C’est probablement le sens qu’il faut donner au terme
« partenariat  » ou « coopération  » entre la politique culturelle de l’Etat et les collectivités. Les
responsabilités sont réparties, mais non partagées. Le ministère est, seul, responsable de l’appréciation de la
qualité du projet. Il donne sa valeur nationale au projet culturel. La collectivité n’y voit qu’avantage puisque
27
On rappellera le travail mené par "l’observatoire des politiques culturelles" de Grenoble. Voir aussi "jalons pour
l’histoire des politiques culturelles locales", travaux et documents n°1 publié par le comité d’histoire du ministère de la
culture. Une synthèse des politiques culturelles des collectivités est présentée dans "Institutions et vie culturelle", sous la
direction de Jacques PERRET et Guy SAEZ. La Documentation Française, 1996.
28
Lire en particulier Guy SAEZ : " Les politiques culturelles des villes" dans "institutions et vie culturelle" notice 5.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 14/22
la qualification du projet rend lisible les ambitions d’attractivité et de rayonnement de la stratégie de
développement du territoire. Les jeux d’influence entre les acteurs « qualifiés  » de la culture et les décideurs
politiques trouvent alors un terrain d’application, dont l’espace est sans coup férir le centre du centre de la
ville. L’article de Guy Saez sur les politiques culturelles de Montpellier et de Grenoble constitue une
excellente illustration de ces configurations stratégiques.29
L’une des traductions de ce dynamisme des collectivités sur le chemin du partenariat avec l’Etat est la
professionnalisation croissante des compétences culturelles au sein des collectivités. Le paradoxe de cette
répartition des responsabilités entre le ministère de la culture et les collectivités est certainement que de
nombreuses villes se sont dotées de compétences propres qui peuvent, sans rougir, s’imposer comme
prescripteurs du critère de qualité, à l’égal des services de l’Etat. La responsabilité de la qualité des projets
devient alors pleinement assumée localement et peut même conduire à la définition d’une politique culturelle
locale ambitieuse. De ce point de vue, on peut observer que, dans certains domaines, l’Etat est rattrapé par
les collectivités dans la conduite d’une politique culturelle soucieuse de renforcer les responsabilités
artistiques des professionnels. Certaines collectivités n’hésitent pas à soutenir des opérations à haut risque
artistique qui ont le mérite de renouveler les critères d’appréciation sur la qualité et l’exigence artistiques.
Elles parient sur le soutien aux formes esthétiques en émergence liées, par exemple, à la vitalité des jeunes
des quartiers difficiles. La recherche de la qualité va, alors, de pair avec les politiques de territoires, en
particulier dans les quartiers défavorisés. Il n’est pas rare que ces actions influencent l’Etat dans l’évolution
de ses propres critères d’intervention, dans sa propre définition des actions de qualité.
On retiendra donc à ce stade, que, dans certaines collectivités, des configurations sociales et politiques
permettent d’identifier un volet consacré à une politique artistique et culturelle à part entière, affichant un
souci de qualité, des garanties de liberté aux professionnels et une ouverture maîtrisée sur d’autres politiques
publiques importantes pour le territoire. La tension entre le territoire et la culture n’apparaît plus comme une
fatalité.
2 - la seconde entrée accompagne la vie sociale
Beaucoup d’autres activités culturelles sont financées par les collectivités, de la soirée de gala jusqu’aux
fêtes de quartiers. L’ambiguà¯té est là : la culture est financée mais par d’autres biais que les critères de
qualité. La sélection des opérations culturelles ne prend pas en compte l’enjeu artistique et n’engage pas la
responsabilité artistique des intervenants.
Cette situation se retrouve fréquemment dans le cadre des politiques relevant de l’animation des quartiers, du
soutien apporté à la jeunesse, du développement de la vie sociale et de la citoyenneté, de l’intégration des
communautés, du lien social, de la vie scolaire ou de la promotion touristique... (quand ce n’est pas pour
répondre au seul souci de prestige des élus eux- mêmes). La culture n’est pas absente, elle prend la forme de
fêtes de quartier, de pratiques amateurs, de manifestations à diverses esthétiques populaires... mais elle ne
privilégie pas les exigences de qualité artistique. La qualité n’est pas l’enjeu. Elle peut exister, mais elle n’est
pas identifiée comme une responsabilité particulière, ni par l’autorité publique qui organise ou soutient, ni
par les bénéficiaires des moyens publics.
La difficulté est bien sà »r que la plupart de ces politiques ont une légitimité forte. Elles correspondent aux
compétences fondamentales des collectivités chargées du développement social ou économique. On ne peut
pas oublier, non plus, que ces politiques très ancrées sur les attentes concrètes des populations sont
importantes dans la gestion de l’agenda politique des élus. De ce point de vue, le critère de qualité n’est pas
un préalable indispensable pour répondre aux demandes liées à ces objectifs. Il y a bien un financement
public de la culture sans que l’on puisse parler de politique culturelle.
Autrement dit, la diversité des territoires de vie est prise en considération et fait partie du débat public sur
les besoins des habitants. A ce titre, la politique publique locale n’ignore pas la présence des imaginaires qui
participent à la vie urbaine. Mais ses présences culturelles insérées dans la politique publique n’ont pas
d’autonomie. La responsabilité des collectivités ne porte pas sur les formes esthétiques et leur enjeu
artistique.
29
Cf. « Villes et culture : un gouvernement par la coopération  ». revue Pouvoir Numéro 73. 1995
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 15/22
En conséquence, la position des collectivités vis-à -vis de la culture peut être contrastée. Tout peut arriver
puisque les lois de décentralisation n’ont pas fixé de critères particuliers d’intervention des collectivités dans
le secteur culturel et que le principe législatif de base est "la liberté d’administration des collectivités".
La confrontation des logiques d’intervention de l’Etat et des collectivités dans le secteur culturel montre tout
à la fois des connivences et des tensions. La finalité de la qualité revendiquée par le ministère de la culture
peut être partagée par certaines collectivités. Il est aussi possible que le financement de la culture ait d’autres
fins, puisque les compétences des collectivités ne leur imposent de donner une autonomie au secteur culturel
et relèvent plutôt du "développement économique, social et culturel". Le risque majeur est alors de
confondre les deux approches sous prétexte que dans les faits il s’agit de culture, d’exposition, de musique,
de patrimoine ou de théâtre.
Derrière la confusion ou la naà¯veté des faits, il me semble plus juste de noter qu’il y a un déficit de
responsabilité dans l’attitude des collectivités vis-à -vis de la culture, compte tenu des enjeux spécifiques que
soulève la présence de l’imaginaire dans l’espace urbain. Les collectivités ont une large responsabilité
publique dans le développement territorial. Par contre, elles n’ont pas accédé, vis-à -vis de la culture, aux
responsabilités publiques qu’impose la liberté des formes esthétiques dans une démocratie.
Cette conclusion nous amène alors à préciser les orientations qui pourraient conduire à concilier les
inconciliables. Elles portent sur la responsabilité des décideurs publiques et des acteurs et annoncent la fin
de la logique de la subvention, autour de la problématique centrale pour notre sujet, de l’intégration de la
culture dans les politiques de développement territorial, en particulier en espace urbain.
III - L’intégration de la culture dans les politiques de
développement territorial et l’inconfortable mission des
opérateurs culturels
Il faut se rappeler que le sujet n’est pas la politique culturelle publique, dans sa globalité, mais les stratégies
de développement territorial et leurs rapports aux politiques culturelles publiques. Dans cette perspective,
des principes de bases sont assez simples à énoncer, certes plus difficiles à mettre en pratique, compte tenu
de l’incompréhension de nombreux professionnels des arts et de la culture. Je proposerai trois principes de
référence (III-1) avant d’évoquer quelques réflexions de méthodes pour une politique publique culturelle
soucieuse de contribuer au développement des territoires (III-2).
III-1 - Trois principes élémentaires
III-1-1 - Le premier principe rappelle que l’action publique concernant la culture est de la
responsabilité des "autorités publiques", ayant compétence légale sur leur territoire d’implantation.
Je tire deux enseignements de ce principe.
a -
La "responsabilité" de l’action publique doit pouvoir signifier que les autorités concernées ont une
position de «
maître d’ouvrage
 » : le responsable publique définit le programme d’action, contrôle la
réalisation, assume les résultats.
Il fait appel à des « maîtres d’œuvre  » pour la réalisation du programme. Le maître d’ouvrage public ne
devrait pas procéder, par lui-même aux choix des artistes. Il doit confier cette responsabilité à un opérateur
professionnel.
La distinction est essentielle. Le mélange des genres, la confusion des responsabilités et des missions ne
sont jamais souhaitables dans le secteur culturel où la liberté de création ne peut se partager.
b -
Le principe signifie, en particulier, que l’artiste, le médiateur, l’association organisatrice... ne peuvent
s’autoproclamer porteurs de missions publiques. Ils doivent avoir reçu un "mandat" explicite des autorités
compétentes pour légitimer leur préoccupation d’intervenir au nom de l’intérêt général. La question de l’aide
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 16/22
n’est plus posée en terme de subvention sans contrepartie. Les moyens publics sont liés à la mise en œuvre
d’un programme relevant de la responsabilité des élus, qui confient des missions de service public aux
organismes culturels. De ce point de vue, la charte des missions de service public pour le spectacle vivant va
dans le bon sens.
III-1-2 - En second lieu, les compétences dites culturelles étant le plus souvent partagées entre l’Etat et les
collectivités, les programmes d’action publique doivent être conçus en commun, contrôlés en commun,
évalués en commun, et assumés comme tel.
Aucun des partenaires, maîtres d’ouvrages ou maîtres d’œuvre, ne peut prétendre apporter son modèle,
préconçu, déjà organisé, et pré financé. Ce principe remet en cause l’approche classique de l’aménagement
culturel du territoire, qui n’envisage que la délocalisation géographique de structures culturelles entièrement
calibrées. Les collectivités doivent, en terme politique, assumer pleinement la difficile question de la qualité
artistique sans abandonner cette responsabilité aux services du ministère de la culture. Le partenariat doit
s’appliquer à l’ensemble des éléments du projet et ne pas exclure la coopération sur la mise en œuvre du
critère de qualité.
III-1-3 - En troisième lieu, il s’agit d’assurer que le projet culturel contribue à la réussite du projet de
territoire.
Ce principe mérite d’être précisé.
a
-
Par hypothèse, dans la conception de l’intégration de la culture dans le développement territorial, le
projet de territoire a un volet culturel. Celui-ci est conçu pour garantir la cohérence entre les interventions
des professionnels des arts et de la culture et les autres volets de la politique territoriale. Il s’agit, en effet
que "les activités culturelles s’intègrent dans les politiques locales de développement pour recréer un
environnement attractif, transformer ou valoriser l’image du territoire, conforter l’idée d’un projet. L’action
culturelle doit, en effet, localement s’exercer en liaison avec les politiques sociales, éducatives et
économiques".
Si l’on suit cette voie, sans faire de l’instrumentalisation de la culture un épouvantail, on repère
immédiatement que la politique culturelle publique est contrainte à la modestie. Elle ne vise plus le public,
dans son abstraction et sa généralité. Elle ne cherche pas à concerner tous les habitants et toutes les formes
de présence de l’imaginaire en milieu urbain. Elle est plus honnête dans ses ambitions. Elle privilégie, sur le
territoire, les seules populations qui sont, légitimement, concernées par les politiques publiques, relevant de
l’éducatif, du social, de l’économique ou des autres secteurs.
b - Ces réflexions partent d’une conviction : dans le cadre du projet global du territoire, chaque secteur de la
politique publique se trouve en situation, potentielle, d’inscrire un volet culturel dans son programme
d’action.
Peut-on construire des routes ou des ronds-points (surtout les ronds-points !!!) sans s’interroger sur leur
dimension esthétique et culturelle ? Comment s’assurer que le maître d’ouvrage a bien fait appel aux
meilleurs spécialistes, capables d’assumer leur responsabilité artistique ? La même question se pose pour les
entrées de ville, les zones industrielles ou commerciales, la rénovation des centres et des quartiers. Peut–on
penser de tels projets publics, en évitant la dimension des imaginaires sociaux avec lesquels ils auront à
vivre ou sur lesquels ils pèseront ?
Peut-on soigner des enfants, en long séjour, à l’hôpital en oubliant la place du symbolique, de la sensibilité,
du ludique dans le processus de guérison ? Peut-on imaginer une politique tournée vers les jeunes d’un
quartier qui laisserait de côté les dynamiques artistiques qui s’y jouent autant que les manques qui s’y
constatent ? La liste serait longue des perspectives de collaboration entre les professionnels des arts et de la
culture et les responsables de politiques publiques sur chaque territoire.
Ces principes conduisent à énoncer quelques réflexions sur le bon usage de la qualité dans les actions
culturelles territoriales, pour résoudre les oppositions forgées par l’histoire de la politique culturelle.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 17/22
III-2 - Du bon usage de la qualité artistique dans les politiques territoriales
La politique culturelle de l’Etat, à force de nier les imaginaires imprégnant la vie urbaine a construit son
propre territoire privilégié dans la ville. Elle en a imposé les droits d’entrée sous prétexte de qualité
artistique. Elle est ainsi passée à côté des enjeux de développement des territoires. Les politiques
territoriales des collectivités se sont reposées sur l’Etat dès lors que la qualité apparaissait comme un atout
de leur stratégie de développement ou ont nié la qualité pour enfermer les formes dans le fait social.
Néanmoins, il reste encore possible d’admettre l’impératif d’intégrer un volet culturel et artistique dans les
projets territoriaux.
Je vous propose donc de revenir au point de départ et d’interroger le paradigme de la qualité en posant
nettement les différences entre le culturel et l’artistique dans les politiques publiques de développement
territorial.
III-2-1 L’évidence et les pièges du culturel et de l’artistique
a - L’évidence : les termes "artistique" et "culturel" sont aujourd’hui banalisés. Bien souvent, les décideurs
publics, les acteurs culturels et sociaux, les journalistes emploient ces termes sans précaution. On trouve
fréquemment des formules comme : "une exposition d’artistes du quartier", "mettre en valeur l’identité
culturelle régionale", "les jeunes ont pris contact avec le cirque et monté un spectacle d’environ une heure",
"le spectacle présenté le dernier jour du stage était réussi : rythmé, enjoué, calculé, il a ravi son public qui l’a
prouvé par de chaleureux applaudissements bien mérités", "les soirées étaient placées sous le signe de la
convivialité et de la distraction (repas, africain, feux de camp, animation théâtrale, lecture de conte...)". On
ne compte plus, dans les articles sur la vie des quartiers et des écoles, le nombre d’artistes en herbe dès lors
qu’une feuille de papier machine passée aux feutres est punaisée sur un panneau d’exposition.
Il y a une bonne raison à ces amalgames : les actions comportaient effectivement de la musique dans les
stages de percussions, de la peinture dans l’exposition, des conteurs dans les soirées conviviales. Il y avait
dans le projet vécu par les habitants des moments bien identifiés qui empruntaient au registre habituel des
disciplines artistiques et de leurs techniques.
b - Le piège est justement là : les actions proposées semblent artistiques parce qu’elles ont des points
communs avec les formes conventionnelles utilisées pour les prestations qualifiées d’artistiques. La
représentation de l’art se cantonne à l’identification des techniques et des dispositifs qui correspondent aux
formes reconnues d’apparition de l’art, telle l’exposition, le concert, le spectacle...
L’apparence de la technique n’est cependant pas suffisante pour qualifier une action d’artistique ou de
culturelle. Poussons ce raisonnement à l’extrême : une "exposition d’artistes du quartier", loin d’être
valorisée par sa qualification "d’artistique" peut offrir l’occasion de moqueries, de dénigrements,
d’appréciations méprisantes et ironiques. La qualification "d’artistique" n’est plus une référence positive.
Elle devient l’indice d’une erreur d’appréciation du responsable du projet qui n’aurait pas du faire passer
telle exposition ou tel concert pour artistique alors que les conditions n’étaient pas remplies pour qu’il en soit
ainsi. L’action dite artistique disqualifie plus qu’elle ne valorise le projet territorial. Une action culturelle
peut devenir, avec les meilleures intentions du monde, un moment de rejet.
Il faudrait, donc, être attentif au fait que ce n’est pas le contenu apparent de l’action qui permet de qualifier
l’action de "culturel" ou "d’artistique". L’action proposée loin de contribuer à la valorisation renforce
l’exclusion lorsque la reconnaissance de l’intérêt artistique n’est pas au rendez-vous.
III-2-2 - Les difficultés de la qualification artistique
En clair, introduire un volet artistique ou culturel dans un projet, signifie avant tout se confronter à des
jugements de valeur, celui du public, du spectateur, de l’habitant, du journaliste, du spécialiste, de l’expert,
de l’institution...On peut tenir pour certains qu’il y aura au moins un jugement de valeur qui sera critique et
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 18/22
donc non conforme aux intentions initiales. Le jeu de la qualité artistique est redoutable. Le jeu des formes
esthétiques ne fait pas bon ménage avec le lien social.
Surtout, ces jugements de valeurs, venant d’horizons différents, n’ont pas de base objective. La qualification
"artistique" n’est jamais acquise, jamais certaine. On pourrait penser avoir des garanties en se limitant aux
jugements des spécialistes de la discipline. Mais, il n’est pas certain que la solution soit suffisante car une
constante de l’histoire des arts est de voir les jugements de valeur les mieux établis être remis en cause par
de nouvelles générations de spécialistes.
Le problème est encore plus grand lorsque la-dite action artistique à d’autres finalités que la seule
reconnaissance par le milieu professionnel spécialisé. Le jugement artistique sur l’action est brouillé par la
présence d’autres finalités, sociales, éducatives, économiques ou touristiques... Dans les projets territoriaux,
la qualification artistique tient de l’improbable, car la recherche du lien social, la préoccupation de
l’expression des habitants, la volonté de favoriser la dimension citoyenne interfèrent avec les exigences
strictement artistiques.
La conclusion provisoire est donc que les responsables de projet doivent être vigilants. On ne peut pas
impunément jouer avec la qualification artistique des actions proposées. Pour le dire nettement, un projet ne
peut pas s’auto-qualifier "d’artistique" ou de "culturel". Cette qualification appartient à d’autres et les
responsables de politiques publiques comme les acteurs culturels ne peuvent éviter d’en débattre.
III-2-3 - La responsabilité artistique
Je pense qu’il faut surtout faire preuve de réalisme : la qualification artistique d’une action est d’abord une
affaire de rapports de force. Il s’agit de faire reconnaître par une partie du milieu professionnel spécialisé
que l’action proposée mérite d’être qualifiée d’artistique.
Plutôt que de s’en remettre à une autorité supérieure, caution de la qualité, il est préférable de considérer
qu’il faut construire ce rapport de force en mobilisant les réseaux influents, en développant des relations
avec les principaux prescripteurs, en renforçant les alliances avec les relais d’opinion pertinents.
Le dispositif de qualification artistique devrait dès la conception être intégré au projet de politique publique
et ne pas être considéré comme une donnée dont les clés seraient apportés par l’autorité des services
spécialisés du ministère.
L’exercice est difficile et ne supporte pas l’improvisation. La solution est probablement dans la nécessité
d’identifier, au sein du projet, le professionnel dont la responsabilité sera de faire reconnaître la dimension
artistique de l’action proposée. Le réalisme plaide donc pour la désignation d’une responsabilité artistique au
sein du projet.
Toutefois, la reconnaissance d’une forme nouvelle comme création artistique est une ambition démesurée.
Tenter ce pari difficile suppose de bien choisir le responsable artistique en fonction du réseau d’influences
qu’il peut toucher. De plus, le responsable artistique doit avoir les coudées franches. Il doit bénéficier d’une
liberté de choix artistiques impérative. Il doit aussi pouvoir bénéficier des moyens qui correspondent à ses
intentions.
La mise en œuvre d’une telle responsabilité doit donc se négocier avec soin pour ne pas engendrer ensuite
des complications durant la phase de réalisation. Il s’impose de négocier sur l’impact prévisible de l’action
artistique auprès des prescripteurs. Il faut mesurer les risques de censure qui ne sont jamais à négliger,
autant que les risques de voir les artistes demander plus de moyens.
III-2-4 - De l’artistique au culturel
La difficulté ne s’arrête pas là . Par définition un projet territorial ne peut pas se limiter à l’artistique. Il est par définition en phase avec le quartier et ses habitants. En ce sens, le volet artistique doit se traduire en
terme culturel.
Le risque majeur pour le projet territorial est celui d’une coupure entre le volet artistique et les autres volets du projet global. L’intérêt même des projets territoriaux, aux finalités multiples et mal cernées, est d’éviter le collage d’actions sectorielles et disciplinaires : une heure de sport ici pour les uns, une heure de spectacle ailleurs pour les autres, un temps de discussion sur la citoyenneté pour d’autres encore. Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 19/22L’enjeu de la qualification de ces projets territoriaux est dans la réussite d’une globalité qui ne soumet pas aux dispositifs de chaque discipline. On pourrait alors défendre l’idée que le volet culturel du projet se lit dans l’intégration du volet artistique dans la marche quotidienne du quartier. Comme cette ambition est souvent démesurée et inutilement utopique, il est probable que les responsabilités à prendre doivent être mieux cernées, mieux circonscrites. A mon avis, le volet culturel devrait se contenter de viser des catégories de populations précisément identifiées par les politiques publiques : les élèves de l’école, les personnes âgées de la maison de retraite, les habitants de tel immeuble, etc... La question est alors pour le projet global de déterminer la manière dont le volet artistique, avec la liberté dont je parlais tout à l’heure, s’inscrit dans la quotidienneté de la population visée. Cela suppose que le projet prenne en compte le jeu des références symboliques de cette population, dans le contexte économique, social, éducatif qui est le sien. Cela ne veut pas dire que le volet artistique doit satisfaire les goà »ts de ces populations. Cela signifie seulement que le volet artistique n’est pas identifié comme un temps particulier, ayant a priori un statut "culturel" qui pose souvent par son énoncé même une distance avec le quotidien. J’ai dit plus haut que la qualification artistique ne pouvait se réduire aux dispositifs et aux techniques conventionnelles de l’art. Il faut maintenant en tenir compte pour faire en sorte que le volet artistique ne soit pas isolé du vécu du territoire.
La plupart du temps, la tentation sera de s’en tenir aux formes disciplinaires connues et reconnues, celles du concert de musique, celle de l’exposition, celle de la représentation théâtrale. Cependant, il n’est pas évident que les formes établies de la représentation artistique soient les mieux adaptées pour conduire à la qualification du projet global et territorial. Un mariage, un immeuble, un marché, une fête foraine, un repas de quartier offrent probablement des fortes opportunités de bâtir une qualification artistique pertinente, plus en tout cas que la reproduction des formes traditionnelles de la présentation de "l’art", dont on mesure assez bien qu’elles n’appartiennent pas souvent aux références culturelles des habitants du quartier.
De ce point de vue, un repas de quartier, un jardin, une façade de maison peuvent contenir une dimension "artistique", une ballade en mer, un carnaval, une fête locale peuvent devenir une référence artistique alors que le concert de musique ne sera rien d’autre qu’un moment social d’occupation de jeunes désœuvrés. C’est pourquoi je préfère insister sur la responsabilité artistique c’est-à -dire sur le fait que la qualification artistique est un combat de légitimité plutôt qu’une action dont les traits emprunteraient nécessairement au registre commun des disciplines artistiques.
III-2-5 - L’impératif de l’ailleurs
La responsabilité artistique dans un projet territorial est un pari très contraignant : si le volet culturel est d’abord l’intégration de l’artistique dans le vécu de la population du quartier, le volet artistique a, lui, son avenir ailleurs que dans le quartier. La responsabilité artistique est par définition sans feux ni lieux. Elle se joue hors des processus qui ont vu naître "l’œuvre". Elle doit surtout se traduire, si elle est vraiment artistique, par une résurrection dans d’autres temps et en d’autres lieux. L’exemple le plus récent est bien celui du Hip Hop. Il y a dans tous les quartiers de mauvais groupes de danseurs et de musiciens. Mais, depuis dix ans, on a bien vu que certaines formes singulières pouvaient circuler, être reprises et revivifiées hors du contexte d’émergence du Hip Hop. Il n’y a plus nécessité d’être un jeune d’un quartier sensible pour apprécier la forme esthétique "hip hop", comme il n’est pas nécessaire d’être noir et américain pour être fasciné par le blues, ni être viennois pour être amateur de Mozart.
Cette circulation des formes doit certainement guider le responsable artistique et s’intégrer au volet culturel du projet territorial. On verrait mal que la qualification du projet échappe aux confrontations, échanges, dialogues avec des artistes d’autres lieux et d’autres références artistiques.
Il n’est pas toujours aisé de repérer le responsable artistique qui acceptera de prendre le risque de s’engager sur ces voies innovantes. Il ne suffira pas de financer un artiste pour réussir les deux volets, "artistique" et "culturel". Il faudra prendre un long temps de conception, doublé d’une négociation minutieuse pour que le Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 20/22 chef de projet puisse obtenir le résultat souhaité. Il est fort possible que le responsable artistique renonce devant les exigences du volet culturel, au nom de ce que l’on appelle l’instrumentalisation de la culture.
Toutefois, je formule l’hypothèse qu’il existe suffisamment d’opérateurs culturels soucieux d’innovations et d’émergences, soucieux aussi de se distinguer par des propositions en décalage avec les modèles habituels. Les difficultés de qualification repérées ici deviennent alors des atouts. En fixant la responsabilité artistique, en revendiquant les exigences culturelles du projet territorial, le risque est surtout de s’engager dans des actions de référence qui ouvriront la voie pour de nouvelles présences de l’art dans la société, dépassant les fractures que l’on ne peut que constater aujourd’hui.
Conclusion
Ma conclusion sur la réconciliation de la culture et du territoire sera pratique et opérationnelle. A mon sens, l’appréciation de la qualité doit faire partie du dispositif contractuel qui associe les partenaires publics, maîtres d ‘ouvrage et les organismes culturels, maîtres d’œuvre.
L’appréciation de la qualité doit être ouvertement l’enjeu d’un débat politiquement organisé.
1 - Chaque partenaire ayant énoncé ses objectifs doit pouvoir proposer les critères d’évaluation, pour la partie de l’action qui le concerne. Il revient aux partenaires de négocier, dès la phase de conception, ces propositions d’évaluation car, il serait imprudent de se lancer dans de tellesopérations, sans avoir fixé de manière détaillée, les critères d’appréciation des résultats.
2 - Cette perspective de contractualisation des critères d’évaluation me semble devoir déboucher, assez vite, dans le domaine artistique où l’on a rappelé l’exigence de liberté, sur la mise en place d’une commission d’évaluation indépendante, où seraient, en particulier, négociés les critères de l’évaluation de la responsabilité artistique. L’idée est peu fréquente dans le secteur culturel. Elle s’impose, pourtant, dans la logique de l’intégration d’un volet culturel dans les politiques, toujours complexes, de développement territorial où interfèrent de nombreux acteurs, aux intérêts divergents. L’appréciation de la qualité du volet artistique et de la pertinence culturelle auprès des populations ne peut résulter du seul éclairage des maîtres d’ouvrage publics, collectivités ou Etat, tous juges et parties. La responsabilité artistique, et ses risques, conduit à penser que les opérateurs culturels de politiques territoriales doivent, très tôt dans le processus de négociation, s’assurer d’une évaluation indépendante, qui puisse, aussi, contribuer à l’évolution des hiérarchies culturelles acquises et protégées.
3 - Enfin, chaque projet de politique publique territoriale concerne les populations auxquelles il est destiné. Dans le secteur culturel, les populations concernées par les politiques publiques ne peuvent être exclues du processus d’évaluation. La finalité même du projet conduit à les associer au projet, pour approuver, critiquer, proposer.
Ce principe est trop souvent décrié, dans l’approche traditionnelle de la politique culturelle publique. Il paraît même aberrant de poser la question des populations dans la conception de l’accès à la culture, où l’on reste tenté, par définition, de nier la "compétence" de ceux que l’on vise. Dans l’optique de l’intégration de la culture dans les politiques de développement territorial, la logique invite à développer la démocratie participative. Le volet culturel ne peut que gagner à ce débat. Il paraît en tout cas préférable au lourd silenceet à l’indifférence de près de 80% de la population. Il m’apparaît ainsi que la recherche de la qualité artistique n’est pasincompatible avec le développement du territoire, à condition de sortir des conventions qui conduisent à enfermer la culture dans son propre territoire de qualification. La ville avec ce qu’elle montre de diversités d’attitudes et de formes, dans ce qu’elle entrelace les traces d’histoires multiples et les émergences de formes, mérite mieux que des politiques publiques niant la spécificité des formes ou ignorantes des imaginaires imprégnant les conduites sociales. Elle mérite de nouveaux espaces de responsabilités publiques pour ses cultures.
Uzeste Musical, visage village des arts à l’œuvre 21/22
Je serais enclin à conclure par cette citation de MALRAUX : "On peut aimer l’un des sens du mot art soit : tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux" si je n’avais vu la réponse que proposait un lycéen français en formation "mécanique" à la question " un artiste est-il aussi utile qu’un mécano dans notre société ?" : "un mécano est plus important qu’un artiste. Un artiste, c’est pour le loisir. Un mécano, on en a besoin tous les jours pour réparer les véhicules". La route est longue pour la politique culturelle. Je resterai optimiste en reprenant la réponse d’un autre élève de la même formation "OUI, car les artistes peuvent faire changer notre mode de vie et l’état d’esprit d’une civilisation". Changer l’état d’esprit, en y incluant les tempêtes que provoquent l’émergence des formes artistiques dans les civilisations, voilà peut-être les mots sur lesquels il faut conclure.