ACTES DES RENCONTRES : CULTURE ET URBANISME. UNE GENTRIFICATION INÉLUCTABLE ?

Les 28 et 29 septembre 2011, l’Usine et l’UECA (Union des Espaces Culturels Autogérés) à Genève se sont associées à Artfactories/Autre(s)pARTs pour proposer un temps d’échange et de discussion sur les liens entre culture, gentrification et les multiples formes de ségrégation urbaine en Europe.


Actes des rencontres : Culture et urbanisme. Une gentrification inéluctable ?

Synthèse courte

Il était particulièrement pertinent de débattre des phénomènes de gentrification à l’Usine de Genève. En effet, ce centre culturel autogéré apparaît de plus en plus comme une anomalie dans une ville qui ne cesse de se standardiser et de s’aseptiser. L’Usine est d’ailleurs membre de l’UECA (Union des Espaces Culturels Autogérés à Genève), un regroupement créé durant l’été 2007 afin de contrecarrer la politique de fermeture de squats qui se généralisait alors. Cette fédération pose une revendication qui apparaît évidente : les lieux autogérés parce qu’ils participent fortement à la vie de la Cité devraient être acteurs des projets d’aménagement urbain. Mais les stratégies de gentrification relèvent beaucoup plus de la stigmatisation que de la coopération. L’atelier de réflexion fut justement l’occasion non seulement d’évoquer cette privatisation grandissante des villes contemporaines, mais aussi d’avancer sur des stratégies permettant de contrecarrer ces processus.

Ce temps d’échange visait donc à l’efficience. Et afin de mieux articuler la pensée à l’action, les débats furent abondamment nourris par des analyses et des témoignages sur des territoires confrontés à la gentrification.

Zurich, Genève, Bruxelles, Berlin, Paris, Lyon, Marseille... les formes de gentrification changent selon les contextes, mais les effets restent les mêmes. Des espaces populaires se voient réappropriés par des groupes socialement plus favorisés. Cette mutation sociologique entraîne des déplacements de populations. Les plus riches s’installent, les plus pauvres sont obligés de partir. La gentrification ne peut donc pas être envisagée comme un processus bénéfique sous prétexte qu’elle apporte de la richesse à un quartier. Les discours sur la mixité sociale ne sont souvent qu’un alibi pour masquer une stratégie qui aboutie à l’éviction des populations les plus pauvres. Certes on rénove, et modernise des territoires, mais ceux qui devraient en être les premiers bénéficiaires n’ont plus les moyens de profiter de ce « progrès  ». Dans certaines grandes capitales et autres « villes mondes  » la situation est telle que l’on peut désormais parler de sur-gentrification. Ce ne sont plus seulement les couches populaires qui sont chassées du centre ville, mais même les classes moyennes et supérieures n’ont plus les moyens d’habiter dans le cœur des Cités.

Mais quels rôles jouent les acteurs et opérateurs culturels dans ces phénomènes qui conduisent à restreindre le vivre ensemble ? La gentrification n’est jamais impulsée uniquement par des projets artistiques ou culturels. C’est un mécanisme complexe qui est certes culturel, mais aussi politique, économique, sociologique et bien sà »r urbain. Évidemment, en s’implantant dans un quartier « défavorisé  », des démarches artistiques et culturelles peuvent révéler le potentiel du territoire et initier un mouvement de « valorisation  » qui, à terme, aboutira à la gentrification. Mais, pour autant, ces aventures de création n’auront pas forcément désiré ce processus d’exclusion urbain et social.

Elles sont d’ailleurs souvent les premières à se mobiliser pour résister. A l’inverse, des projets culturels se compromettent parfois avec un « esprit du capitalisme  » qui sait parfaitement récupérer et détourner en sa faveur les forces qui sont censées le contester. Beaucoup de galeries d’art s’installent dans un quartier populaire pour profiter de la modicité des loyers, mais elles s’adressent uniquement à une élite et son insensibles aux mutations urbaines et sociologiques de leur territoire d’implantation. De même, il ne suffit pas de s’implanter dans une « friche  » ou une « usine  » pour proposer un art véritablement populaire et en interaction avec son environnement. Au contraire, une alliance objective entre les politiques publiques de la culture et l’industrie des loisirs et du divertissement entraîne une gentrification des pratiques populaires. Le philosophe et artiste Jules Desgoutte observe une corrélation entre la privatisation des espaces urbains populaires et la confiscation symbolique d’objets et de pratiques culturelles, elles aussi, populaires. Il est en effet de plus en plus « hype  » d’organiser ou de fréquenter les bals et les guinguettes. « Mais en se réappropriant les pratiques du peuple, les néo philistins (ceux qui ne s’intéressent qu’au choses utiles et rentables) les pillent  ». Lire la suite

Fred Kahn
Texte rédigé à partir des propos tenus à Genève les 28 et 29 septembre 2011 lors de la rencontre « Culture et urbanisme. Une gentrification inéluctable ?  »

Quentin Dulieu et Bahija Kibou (Af/Ap)
Coordination de la rencontre

Plus d’infos : Le site internet des rencontres

Culture et urbanisme. Une gentrification inéluctable ? - Synthèse longue
Mis à jour le mardi 2 avril 2013