DE L'UTILITÉ DES RÉSEAUX


Cet article est issu de "Inter Actes-If", le journal du réseau des nouveaux lieux culturels en Ile de France, juillet 2003.

En savoir plus sur le réseau Actes-If



Formels ou informels, les réseaux culturels font partie intégrante du
paysage français et européen depuis une vingtaine d’années. Leurs
vocations sont aussi multiples que les enjeux auxquels ils répondent :
de l’entraide à l’information en passant par la réflexion ou la
coopération.

Les réseaux sont tous des noeuds de communication, d’échange et, à la
différence des autres modes d’organisation culturelle, fonctionnent sans
hiérarchie entre les membres. La plupart d’entre eux sont des
plate-forme qui réunissent plusieurs établissements culturels en un
enjeu commun, en général la défense de leurs membres en soutenant leurs
initiatives. Mais chaque réseau est autonome et fonctionne selon ses
propres règles. Il y a les petits réseaux d’affinités électives qui
dynamisent la création. Informels par nature, ils sont souvent nés
d’initiatives spontanées.
D’autres, assez éloignés de la notion de
partage et
de mutualisation, répondent à des impératifs de coopération s’inscrivant
dans un marché financier et se développant dans un contexte politique
particulier. Certains réseaux naissent quand d’autres meurent ou se
transforment selon les opportunités, c’est une fragilité mais aussi une
force qui préserve de la sclérose. Il reste que dans un tel paysage
mouvant et contrasté, il devient impossible d’établir une cartographie
exacte et manichéenne des réseaux culturels. Mais leurs enjeux demeurent
lisibles.

Les réseaux tentaculaires autorisent un certain nombre d’échanges à 
l’échelle du monde. C’est le cas des plus importants qui sont initiés
par des institutions internationales pour répondre à des impératifs
politiques. La CEE, via son programme Kaléidoscope met en interaction
des réseaux déjà existant dans au moins trois pays d’Europe pour
favoriser les échanges. L’Unesco et IETM, (le plus grand réseau, à 
l’initiative de multiples autres) sont elles aussi très inspiratrices de
ces réseaux énormes mais plutôt orientés vers des préoccupations de
développement surtout de l’Europe orientale et centrale. Car il est bien
sà »r moins évident d’organiser de véritables réseaux à l’Est. Les pays
devenus récemment européens souffrent de contextes politico-économiques
fragiles, qui interdisent, sauf initiative occidentale, les échanges à 
l’échelle du monde. Trois réseaux en ont fait leur mission, ils sont
significatifs de volontés politiques.
Culturelink, instauré en 1989 par
le conseil de l’Europe et l’Unesco pour favoriser les développements en
Europe de l’Est, est fort de 1 000 membres. Il permet de relier des
projets et d’échanger facilement grâce à Internet (il dispose d’une base
de données très riche) qui a totalement redessiné la dynamique
informative de ces structures.

Autre réseau, Apollonia, ciblé, lui, sur
les arts visuels. Il a été créé en 1998 à l’initiative des FRAC
français et du Conseil de l’Europe. Apollonia organise des
manifestations culturelles, édite un répertoire de contacts, le " Guide
Apollonia d’art contemporain de l’Europe centrale et orientale " en
cours de réactualisation, organise des conférences et des expositions et
affirme des ambitions d’éducation et de mobilité dans le respect des
cultures. Son pendant pour le spectacle vivant est Theorem, né en 1998
au Festival d’Avignon dont l’objet est aussi de faire connaître les
artistes d’Europe Centrale et de l’Est en leur permettant de travailler
 : plusieurs d’entre eux sont invités au Festival d’Avignon, chaque
année. Bien sà »r ces réseaux très officiels portent en eux les syndromes
des dinosaures qu’ils sont, à savoir une relative imperméabilité aux
initiatives spontanées, lourdeur des partenariats oblige, donc une
certaine rigidité. Ils ont un autre très gros défaut, c’est celui
d’accaparer les budgets des Etats, étouffant de fait, les petits
projets.
Néanmoins tous ont de véritables bases de données très utiles
pour tous ceux qui veulent bouger ou comprendre la dynamique culturelle
de l’Est. Ils permettent aussi de mieux identifier des formes de travail
communes car l’idée collective que porte en elle la notion de réseau est
vitale du point de vue des pays pauvres, puisqu’elle permet la survie
artistique d’expériences dont aujourd’hui on parle beaucoup en France à 
travers les friches ou les lieux alternatifs, mais qui ont une
antériorité et une dynamique certaine en Europe de l’Est.

Très peu de petits réseaux se sont construits de manière formelle à 
l’échelle européenne.
Banlieues d’Europe et TransEuropeHalles sont les
trop rares cas français qui dans leur conception même ont refusé la
culture à l’échelle franco-française. Tous deux s’inscrivent à 
l’interface du champ social et du champ artistique, mais leurs adhérents
et leurs modes d’action diffèrent sensiblement.

Banlieues d’Europe a été
crée en 1992, à l’initiative de Jean Hurstel, cador de l’action
culturelle, pour rassembler des opérateurs culturels, des artistes, des
chercheurs et des responsables associatifs, sensibilisés aux questions
de l’intervention artistique dans des quartiers défavorisés. 35
partenaires dans 20 pays se rencontrent une fois par an, dans une ville
d’Europe pour valoriser leurs actions. Ils échangent et évaluent des
projets, et surtout réfléchissent à partir d’actions concrètes aux
espaces périphériques des grands métropoles. Banlieues d’Europe édite
aussi des ouvrages et publie des actes sur la démocratisation
culturelle.

Plus centré sur les lieux alternatifs, TransEuropeHalles
cible très directement la jeune création dans les lieux indépendants et
pluridisciplinaires, les démarches émergentes. Né en 1983, en Belgique,
dans une friche symbolique, la Halle de Schaerbeek, le réseau privilégie
la transmission de savoir-faire, les travaux expérimentaux dans des
lieux qui travaillent en interaction, le conseil et la médiation de la
gestion de ce type de lieux. TransEuropeHalles, composé d’une trentaine
de membres venus de tous les pays d’Europe, organise des rencontres
européennes, une fois par an, ce sont des temps d’échange qui ont lieu
dans différents lieux du réseau, chacun y est encouragé à raconter ses
expériences et nourrir de nouvelles idées. L’association organise aussi
des coopérations bilatérales entre membres qui se concrétisent notamment
dans des programmations croisées et des échanges de personnels ou
d’artistes.

Mais la majorité des petits réseaux est plus franco-française et plus
orientée vers la défense des intérêts communs de ses membres.

à€
l’exception, peut-être du Réseau Chaînon qui mutualise les actions des
petites salles de son réseau avec une très grande efficacité, malgré une
histoire tumultueuse. Il a été initié en 1988 (à l’époque,
Orques-idées) par des militants actifs, Joà« l Breton, Pascal Gauvrit et
Pierre Soler, à la tête de structures regroupées au sein de villes de
moins de 20 000 habitants. Aujourd’hui, 250 petites et moyennes salles
de spectacle y sont affiliées moyennant une adhésion variable selon leur
capacité et la signature d’une charte du Chainon qui réaffirme le
respect de conditions d’accueil des artistes. La mutualisation de leurs
moyens permet la mise en place de tournées ou de programmations. Un
principe simple comme bonjour, donc ingénieux, ce qui lui vaut sa
longévité. à€ l’issue du festival le chaînon Manquant, le réseau organise
dans chaque région, des réunions de programmation avec les salles du
réseau et monte des tournées pour une cinquantaine de groupes ou
compagnies, générant ainsi entre 750 et 800 représentations. En plus de
fournir des moyens aux petites salles de développer leur activité
artistique, le Chainon les aide à se professionnaliser tout en restant à 
l’affà »t de nouveaux talents. Alors qu’il vient de reprendre la
présidence du réseau qui connaît une mauvaise passe financière, mais qui
a trouvé une vraie légitimité professionnelle, Marc Fouilland y promet
la mise en place de nouvelles activités telles que la formation.
Cet
exemple de mutualisation poussée de moyens de production est quasi
unique car la culture de la culture en France favorise peu des
regroupements qui dépassent les frontières affinitaires ou
corporatistes.

Il y a en effet pléthore de réseaux qui ont pour objet
la défense de leurs adhérents. Ce ne sont pourtant pas des syndicats et
s’ils se développent, c’est parce leurs membres ne se retrouvent pas
dans les grandes centrales généralistes. Un des plus caractéristiques
sur ce créneau est la Fédurok, réseau national des lieux de musique
amplifiée, qui mène depuis huit ans, une véritable action de lobbying
auprès des pouvoirs publics afin de permettre la survie des lieux
souvent très fragiles du secteur. Il faut dire que les musiques
actuelles souffrent de nombreux maux : méconnaissance, rejet,
insuffisance de moyens, mauvaise lisibilité, précarité. Alors même
qu’elles ont le vent en poupe en termes de pratique artistique. La
Fédurok fédère une cinquantaine de lieux dont de nombreux SMAC et sert
de catalyseur à la réflexion sur le champ. Le coup d’arrêt porté à la
politique des emplois-jeunes a frappé de plein-fouet les lieux,
surchargés de missions sans disposer de moyens ad hoc. C’est pourquoi la
Fédurok a bataillé et obtenu un accord cadre moratoire à la sortie du
dispositif. Actif aussi en terme de communication, le réseau qui a son
propre journal (La Gazette Magique) a lancé un Tour de France de ses
lieux adhérents afin de rendre lisible leur activité et de mettre en
place un outil permanent d’observation et d’analyse de ses membres. à€
partir de ses premières constations, la Fédurok a demandé aux pouvoirs
publics la construction d’un cadre législatif et réglementaire
spécifique, une politique publique cohérente entre Etat et
collectivités, et une redéfinition claire du dispositif SMAC.

Autre réseau de lobbying Zone Franche, qui depuis 1992 rassemble tous
les acteurs du champ des musiques du monde de la production jusqu’à la
diffusion. Leur objectif : faire reconnaître et populariser les musiques
du monde dans un esprit de solidarité politique au service des Droits de
l’Homme. Zone Franche compte actuellement une centaine d’adhérents,
organise des colloques, est présente sur tous les festivals du genre et
édite des études qui conduiront à la publication fin 2003, d’un livre
blanc des Musiques du monde qui sera le point global sur le secteur en
terme de marché et de diffusion. Enfin, La Fédération constituée elle
aussi de tous les acteurs de son champ est le seul organe de lobbying
des Arts de la Rue. Multipliant les déclarations choc et les actions de
pression pour obtenir plus de moyens, l’association, composée de 150
membres se positionne tous azimuths, formation, emploi, fiscalité,
politique.

Autre(s)pArts, Fanfare et la FRAAP occupent une autre fonction, qui est
aussi une des caractéristiques des réseaux, la réflexion. Ils sont
actifs sur respectivement, les champs des lieux pluridisciplinaires, la
musique et les arts plastiques. Espaces de rassemblement, ils
revendiquent des intentions de démocratisation de l’accès à la culture,
d’action culturelle et organisent des projets de recherche et
d’expérimentation de pratiques pour la plupart " émergentes ", traduisez
en termes de financement et de préoccupation politique " en marge ".

Tous disposent de bases de données, ils sont donc de véritables noeuds de
communication, même s’ils sont peu utiles en termes de coopération.

A l’échelle régionale, un certain nombre de réseaux permettent
d’optimiser les actions à petite échelle. Ainsi, en Ile-de-France, pour
ne citer que cette région, la Fédération des petites scènes de Paris,
réseau de petits théâtres parisiens qui tentent de survivre dans la
jungle de la capitale éditent en commun une plaquette des programmations
de ses adhérents (15), et une en direction du jeune public.
La
Fédération annonce avoir grâce à ce mode de communication commun
augmenté la fréquentation jeune public de 15% dans ses lieux. On peut
aussi parler du RIF, fédération de réseaux de musiques actuelles qui
regroupe Le Pince Oreille dans le 77, le CRY dans le 78, Combo 95, et
Réseau 92, soit 57 lieux franciliens. Un exemple très typique des
musiques actuelles qui démultiplient les fédérations de réseaux dans
toute la France, beaucoup plus que les autres genres artistiques. Et
l’on pourrait démultiplier à l’infini, les exemples sur le territoire
français.

Les réseaux, on le voit, sont nombreux, aussi peu modélisables que
reproductibles car appartiennent à des temps, des contextes, des
histoires différentes. Il n’en reste pas moins qu’ils sont à la culture
ce que les poumons sont au corps humain, des organes vitaux de
respiration et de renouvellement de l’air ?ici artistique - qui offrent
d’infinies possibilités d’action, à condition qu’on les connaisse et
qu’on s’en serve !

Il reste peut-être à inventer des réseaux d’artistes à l’échelle de
l’Europe, rares, alors qu’ils sont pourtant le terreau d’irrigation des
réseaux professionnels, qui eux, en revanche, se multiplient

ANNE QUENTIN

Les liens :

AUTRE(S)PARTS : http://autresparts.free.fr/

BANLIEUES D’EUROPE :www.banlieues-europe.com

CHAINON : www.reseau-chainon.com

IETM (Informal European Theatre Meetings) : www.ietm.org

FRAAP : www.fraap.org

THEOREM : www.festival-avignon.com

TRANSEUROPEHALLES : www.teh.net

ZONE FRANCHE : www.zonefranche.org
FEDUROK : www.la-fedurok.org

Mis à jour le lundi 25 février 2008